Le recours des Chinoises au microcrédit: de l’émancipation au renforcement de divers liens de dépendance

le Lundi 09 Janvier 2017 à l’Ined, salle Sauvy, de 11h30 à 12h30

Présenté par Gwendoline Debéthune (Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine) ; discutant : Hadrien Saiag (CNRS-IIAC / LAIOS - EHESS)

Depuis les années 1990, la microfinance a connu un essor considérable dans le monde (Guérin, 2015). Son produit phare, le microcrédit, est présenté comme un crédit de faible montant accordé à des individus en situation de précarité économique et n’ayant pas accès au crédit bancaire pour financer une activité génératrice de revenu (Banque mondiale, 1989). Il est à ce titre promu par nombre d’acteurs du développement comme un outil de lutte contre l’exclusion financière qui, en fonction des populations ciblées, contribue notamment au développement des zones rurales, à la réduction des inégalités et à l’empowerment des femmes (Yunus, 1997; Cheston et Kuhn, 2002; Attali, 2007 ; Duflo, 2010; Maes et Reed, 2012). Mais qu’en est-il en Chine, dans les discours comme dans les faits? Une question qui apparaît d’autant plus pertinente que, jusqu’à présent, les effets de la modernisation économique sur le statut des femmes chinoises se sont révélés paradoxaux (Attané, 2010).

Une enquête ethnographique multi-située conduite entre 2012 et 2013 auprès de femmes et d’hommes ayant contracté un microcrédit, et de praticiens dépendants de sept organismes de microcrédit dans deux provinces du Sud-Ouest de la Chine, montre qu’en raison de leur faible contrôle sur les ressources de leur foyer, les femmes sont contraintes de gérer leur budget dans l’ombre, ce qui concoure notamment à leur vulnérabilité face à un accroissement des risques auxquels leur statut les expose. En les amenant à sortir de l’ombre, le microcrédit pourrait alors les affranchir de divers liens de subordination, tant à l’égard de leur conjoint que des membres de leur communauté et de leurs réseaux formels et informels.

Mais le recours au microcrédit engageant diverses responsabilités, celui-ci est tout autant susceptible d’accroître la subordination des emprunteuses. Par conséquent, cette communication vise à interroger la capacité du microcrédit à élargir les possibles et les libertés réelles des femmes rencontrées. Dans un contexte, patriarcal, patrilocal et patrilinéaire (Tang Can, 2013), nous partirons de l’hypothèse que cet élargissement des possibles peut susciter diverses tensions, résistances et conflits entre les contractantes de microcrédit et leur conjoint, leur belle-famille, les membres de la communauté masculine, le personnel des organismes de microcrédit et entre les femmes elles-mêmes (Guérin et Palier, 2006 ; Guérin et al., 2009).

Gwendoline Debéthune

Gwendoline Debéthune a obtenu son doctorat en socioéconomie du développement en décembre 2015 à l’EHESS. Dans sa thèse, dont la quatrième année a bénéficié d’un accueil financé à l’Ined au sein de l’UR « Démographie, genre et sociétés », elle a poursuivi un double objectif : analyser les cadres normatifs conditionnant l’accès et le recours des Chinoises au microcrédit en zone rurale et périurbaine et, dans le même temps, les décalages entre les discours et les réalités locales dans les régions étudiées. De 2014 à 2016, elle a occupé un poste d’ATER à l’Université de Rennes 2. En novembre 2015, elle est aussi devenue secrétaire de l’Association française d’études chinoises (AFEC). Elle est actuellement jeune chercheure associée au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine où elle co-anime, depuis octobre 2016, l’atelier « Mener une recherche sur la Chine : ficelles et cuisine du jeune chercheur - 如何做中国研究:年轻学者的入门技巧 ».