Epistémologie, démographie et sciences humaines

Quels sont les progrès et quels sont les risques rencontrés par les nouvelles approches en sciences humaines ? Comment les replacer dans l’histoire de la démographie ? Il s’agit en particulier de répondre aux questions méthodologiques et épistémologiques suivantes : Comment peut-on définir la causalité et la recherche de l’explication en sciences humaines ? Quels programmes de recherche soutiennent ces approches ? Quelle validité accorder aux thèses soutenues par la génétique du comportement et par quoi les remplacer si elles ne sont pas valides? Quels sont les apports de l’approche multiniveau par rapport aux autres analyses plus classiques en démographie? Les modèles basés sur le comportement d'agents (agent- based models) permettent-ils de comprendre des régularités au niveau macroscopique? Quel rôle peut jouer l’approche bayésienne, soit subjectiviste soit logiciste, en sciences humaines et en démographie, où l'on utilise habituellement une approche objectiviste? Y-a- t'il cumulativité dans les sciences sociales, en particulier en démographie, et comment cette cumulativité se manifeste-t'elle? Quelle est la validité de certaines méthodes utilisées en paléodémographie et par quelles méthodes les remplacer si elles ne sont pas valables? Quels sont les paradigmes de la démographie et est-il possible de l'axiomatiser? Quels sont les rapports entre mathématiques, biologie et sciences humaines? Est-il possible de modéliser les migrations humaines et la répartition de la population sur son territoire
Les chercheurs qui ont participé ou qui participent de cette réflexion nécéssaire pour la démographie et pour l'ensemble des sciences humaines, sont issus des diverses parties du monde (voir dans la note d'objectifs détaillée la liste d'auteurs ayant participé de ce projet).
La collection d'ouvrages de la Methodos Series publiée par Springer, dont Robert Franck, philosophe de l'université de Louvain, et Daniel Courgeau sont les éditeurs, vient soutenir et diffuser cette entreprise au niveau international. Dix neuf volumes ont déjà été publiés et deux volumes sont en cours de publication.

De nouvelles approches ont été développées au cours de vingt dernières années en démographie, telles que l’analyse biographique, l’analyse multiniveau, l'analyse séquentielle, l'analyse des comportements d'agents (agent-based models) ou la génétique du comportement, certaines se révélant fort prometteuses, d’autres étant sujettes à plus de discussions. Devant la complexité des méthodes que ces approches mettent en œuvre, il nous parait nécessaire de mener une réflexion plus approfondie sur les questions méthodologiques et épistémologiques qu’elles posent. Ainsi, il est intéressant de voir les progrès qu’elles peuvent apporter à la connaissance des comportements humains: permettent-elles de passer d’états de moindre connaissance à des états de connaissance plus poussée ou, au contraire, sont-elles basées sur des hypothèses erronées, qui conduisent à des résultats non valides? Egalement, il est important de replacer ces méthodes dans l’histoire de la pensée démographique, qui s’est développée depuis le XVIIe siècle, et plus généralement dans l’histoire des sciences humaines, pour voir plus précisément comment elles se situent dans l’ensemble de ces courants.

Dans la mesure où l’une des missions de l’Ined est d’effectuer toutes les ‘recherches utiles à la science démographique’, ce projet va chercher à définir avec plus de précision ce terme ‘utile’, pour voir en quoi ces diverses recherches permettent des progrès en démographie, en quoi cette dernière se distingue des autres sciences humaines mais aussi comment elle utilise certains concepts issus de celles-ci. Il y a lieu en particulier d’étudier les dangers de la considérer comme une science complètement à part, ainsi que le pensent encore certains démographes. Mais également il y a le risque d’utilisation, sans toutes les précautions nécessaires, de concepts de base issus d’autres sciences humaines qui peuvent conduire à des résultats incorrectement spécifiés en démographie. Les disciplines mobilisées dans ce projet sont nombreuses, car il s’agit d’une étude synthétique des diverses sciences humaines, utilisant cependant une approche essentiellement quantitative. Les techniques envisagées devraient également parcourir tout le spectre des méthodes utilisées dans ces sciences, tant mises en place dans le passé que plus récemment.

Les méthodes utilisées sont d’abord celles de la philosophie des sciences, de la méthodologie et de l’épistémologie pour mettre en évidence les hypothèses sous-jacentes qui devraient assurer la validité de ces diverses approches du phénomène humain. Elles font également intervenir l’histoire car ces approches se sont développées au cours du temps, ont été critiquées et remplacées par d’autres. Ainsi, les sciences de la population ont depuis leur création par Graunt au XVIIe siècle, mis en place un certain nombre d’approches, que l’on peut cerner par des paradigmes : le paradigme transversal, pour lequel les faits sociaux sont supposés avoir une existence indépendante des individus et s’expliquer par les caractéristiques sociales, économiques, politiques, etc. de la société dans laquelle ils vivent ; le paradigme longitudinal pour lequel il n’est possible d’étudier que l’arrivée d’un événement et d’un seul, au cours de la vie d’une génération qui conserve tous ses caractères et les mêmes caractères tant que le phénomène se manifeste ; le paradigme biographique, pour lequel un individu parcourt tout au long de sa vie une trajectoire complexe, qui dépend à un instant donné de sa trajectoire antérieure et des informations qu’il a pu acquérir dans son passé ; enfin le paradigme multiniveau, pour lequel le comportement individuel va dépendre non seulement de son histoire passée, mais également de contraintes extérieures exercées sur l’individu, que celui-ci en soit conscient ou non. Il faudra également voir quelles nouvelles approches sont en gestation et les approches suivies dans d’autres sciences sociales, comme la génétique de population, la sociologie, la biodémographie, etc.

Participants