Fabrice Cahen

nous parle de l’infertilité dans l’histoire démographique

Ined- Colette Confortès

Chercheur à l’Ined depuis septembre 2013, Fabrice Cahen travaille sur les politiques de reproduction et de population et leurs fondements intellectuels.

(Entretien réalisé en février 2014)

Pourquoi travailler sur la stérilité ? Quelle relation avec votre sujet antérieur sur l’avortement ?

L’incapacité temporaire ou définitive à concevoir concernerait 15% des couples. Si les sciences sociales s’intéressent à la question depuis quelques années, c’est sans tenir compte du fait qu’il existe une histoire de la lutte contre la stérilité bien avant les années 1970, c’est-à-dire avant l’assistance médicale « moderne » à la procréation. Dans l’historiographie française, des travaux remarquables sur la procréation et ses échecs ont été accomplis à propos de l’époque moderne, mais pour la période contemporaine les études pionnières ont surtout été menées à l’étranger (en Grande-Bretagne par exemple, avec des études combinant histoire sociale de la médecine et histoire du genre, ou des travaux de démographie historique interrogeant les facteurs et l’incidence de l’infertilité). Il reste beaucoup à défricher quant à l’histoire de l’infertilité et de son traitement dans un pays aussi soucieux de sa population que la France (envisagée bien-sûr dans une perspective comparative et transnationale).

Mon optique vise à saisir comment les difficultés à procréer ont été construites comme un problème appelant des solutions (préventives ou thérapeutiques), allant jusqu’à la prise en charge totale de la PMA par l’assurance maladie.Longtemps, au lieu de ce problème ce sont d’autres considérations qui ont prévalu, sur la quantité de la population, à la qualité de la race, à la préservation des rôles sexués - non sans laisser de traces durables. Cette recherche permettra peut-être aussi de mieux cerner les points de blocage qui empêchent, en France, bon nombre de professionnels d’envisager l’ouverture de la PMA à d’autres catégories de publics que les couples hétérosexuels avec indications médicales.

Comment travailler sur des sujets si intimes et tabous ? Quelles sont les sources ?

Dans ma thèse sur l’avortement illégal au XXe siècle, j’ai été en permanence confronté à la rareté des matériaux empiriques disponibles. J’ai acquis comme réflexe de m’appuyer sur les fonds les plus stratégiques (notamment ceux des ministères ou des grandes administrations concernées), renvoyant au regard porté par l’Etat sur le sujet, tout en réunissant en parallèle toutes sortes de sources écrites (travaux savants, périodiques spécialisés, statistiques publiées...) et d’archives complémentaires (associatives, personnelles...). Le repérage et le dépouillement de ces sources est long et coûteux mais nécessaire. En l’occurrence, je peux profiter de l’ouverture récente de plusieurs fonds laissés par des praticiens de la lutte contre la stérilité, notamment celui des CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs humains et du sperme). De nombreux entretiens auprès de médecins constituent une source supplémentaire. 

Que se dégage-t-il de vos premières recherches ?

Mes premières investigations laissent penser que les efforts en la matière, indépendamment des possibilités thérapeutiques limitées, ont été longtemps ralentis par l’impact démographique jugé marginal de l’incapacité à concevoir : le chiffre de 15% des couples était déjà avancé par les auteurs les plus influents de la Belle époque, qui en déduisaient qu’il n’y avait pas là matière à mobilisation de moyens publics. Les médecins promoteurs d’une action spécifique, malgré leurs arguments « biopolitiques » (jouer la carte de la lutte contre la stérilité plutôt que celle, plus négative, de la lutte anti-avortement) semblent avoir longtemps œuvré sans véritables soutiens matériels - ce qui signifie aussi sans véritable contrôle extérieur - et paraissent avoir eu peine à convaincre la population que la prise en charge des difficultés à concevoir pouvait être bénéfique, au moins psychologiquement. Pourtant, des pionniers ont développé dès l’entre-deux-guerres un ensemble de pratiques de diagnostic et de traitement, non sans soulever des questions touchant - déjà - à la pertinence de la médicalisation et de la technicisation de la reproduction. Ces pratiques de biomédecine sont encore méconnues et pourtant fascinantes. 

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