Sophie Pennec

nous parle des enquêtes Fin de Vie en France

Démographe à l’Ined et chercheure associée à l’Australian National University, Sophie Pennec est responsable de l’enquête « La Fin de Vie en France ».

(Entretien réalisé en avril 2023)

Alors que les 184 citoyens composant la Convention citoyenne sur la fin de vie ont rendu leur rapport au gouvernement, nous avons posé des questions à Sophie Pennec sur les différentes enquêtes sur la fin de vie que l’Ined a réalisées.

Après l’enquête sur la fin de vie en hexagone, une enquête a été conduite dans les DOM. Quels sont ses objectifs ? Diffère-t-elle de l’enquête menée dans l’hexagone ?

En 2010 nous avons conduit une enquête sur la fin de vie dans l’hexagone, qui portait sur un échantillon représentatif des décès survenus en décembre 2009, nous avons obtenu environ 5200 réponses. Cette enquête a permis, notamment et pour la première fois, d’avoir des résultats quantitatifs sur les décisions médicales en fin de vie en hexagone et a aussi montré la faible diffusion des directives anticipées. 

Les Dom n’étaient pas inclus dans cette première enquête car le taux de sondage ne permettait pas de faire des analyses à ce niveau géographique fin qu’est le département.  Une enquête spécifique était donc nécessaire et tout comme il existe des variantes DOM de l’enquête Virage, ou une enquête regroupant plusieurs enquêtes de l’hexagone en une comme MFV et MFV2, l’enquête Fin de vie en Outremer (FDVDOM) s’inscrit dans la dynamique développée à l’Ined d’enquêtes visant à fournir des statistiques et à avoir une meilleure connaissance des DOM sur des thèmes en lien avec la population.

Comme l’enquête en hexagone, l’enquête FDVDOM menée dans quatre départements d’Outremer français (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion), de 2019 à 2022, vise à dresser un panorama des conditions de la fin de vie. En étendant l’enquête à ces DOM, il s’agit de montrer dans quelle mesure leurs caractéristiques singulières (démographiques, sociales, historiques, culturelles et cultuelles) modèlent différemment le déroulement de la fin de vie, et de recueillir des informations pour l’heure inexistantes pour cette zone géographique. Par rapport à la métropole, les conditions de mortalité sont par exemple plus défavorables aux âges plus jeunes et les décès à domicile sont beaucoup plus fréquents. 

Dans l’enquête FDVDOM, nous avons aussi tenu compte des changements législatifs sur le thème et posé des questions sur des dispositions de la loi Claeys-Léonetti de février 2016 comme la sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Dans les DOM, parallèlement à l’enquête auprès des médecins pour laquelle nous avons reçu 1812 réponses, une quarantaine d’entretiens semi-directifs auprès de proches endeuillés assez récemment (décès survenus entre six mois et un an) ont été effectués pour permettre d’en savoir davantage sur l’accompagnement de la fin de vie.  En effet, avec des décès plus souvent à domicile, le rôle des proches dans la prise en charge est d’autant plus important.

Les résultats de l’enquête FDVDOM seront présentés en juin 2023.

Pourquoi s’intéresser à la fin de vie ?

Plusieurs changements importants d’ordre démographique et législatif concernant la mort sont intervenus au cours des dernières décennies : en raison du vieillissement de la population, la mort frappe massivement des personnes âgées et même très âgées. Aujourd’hui en France, 85% des décès surviennent à plus de 60 ans et 50% à plus de 80 ans. On meurt aussi de plus en plus de maladie chronique qui nécessite des prises en charge de long terme. Enfin, alors que les sondages indiquent que les Français souhaitent mourir à domicile, la mort intervient désormais majoritairement à l’hôpital (50%) ou en institution (20%) avec une plus grande « médicalisation de la mort ».  Il est donc intéressant d’essayer de comprendre ces évolutions et leurs effets.

La fin de vie et sa prise en charge ont été intégrées dans différentes législations dans les dernières décennies, c’est ainsi qu’il y a eu une première loi sur les soins palliatifs en 1999, puis la loi du 4 mars 2002 (Loi Kouchner) sur le droit des malades qui a introduit notamment le droit aux soins palliatifs et aux soins visant à soulager la douleur, le respect à la dignité du malade, le droit au respect du choix du malade et le rôle de la personne de confiance. 

Deux lois en 2005 et 2016 ont porté spécifiquement sur la fin de vie. La loi du 22 avril 2005 (loi Leonetti) a introduit trois dispositions essentielles : la notion de proportionnalité des soins et de non-malfaisance (interdiction de l’obstination déraisonnable ou acharnement thérapeutique) ; l’obligation de prodiguer des soins palliatifs avec devoir d’assurer la continuité des soins et l’accompagnement de la personne ; le renforcement du principe d’autonomie de la personne malade. 

La loi du 2 février 2016 (loi Claeys-Leonetti) a renforcé le droit à l’accès aux soins palliatifs, rendu contraignantes les directives anticipées pour le médecin et a clarifié certaines situations et notamment le droit pour le patient de bénéficier de sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. 

Ces questions relatives à la fin de vie - lieu du décès, soins palliatifs, décisions d’arrêt ou de limitation des soins actifs, rôle des familles dans l’accompagnement, demande d’euthanasie... - sont au cœur de l’actualité et cette recherche a pour ambition d’apporter des éléments objectifs sur ces questions.

Comment interroger sur un thème aussi sensible et poser des questions sur des pratiques dont certaines ne sont pas légales ?

Pour cela, il existe plusieurs niveaux de garantie :
Tout d’abord au niveau institutionnel :  Un comité de pilotage a été institué comprenant des représentants du ministère de la Santé, de la section éthique du Conseil national de l’Ordre des médecins, de chercheurs de l’Inserm. Le protocole de l’enquête et la recherche de manière générale a reçu un avis favorable du CESREES (comité d’expertise pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé) et a obtenu l’autorisation de la Cnil. Cette dernière a tout particulièrement vérifié les garanties de l’anonymat.

Ensuite au niveau du questionnaire dont la conception assure que les caractéristiques du patient et celles du médecin sont définies de manière suffisamment large pour empêcher toute identification possible. Certaines questions dans l’enquête DOM sont à dessein avec moins de modalités pour assurer l’anonymat.

Enfin à travers le mode de collecte. Il s’agit de s’assurer qu’il n’y ait aucun lien possible entre le nom du médecin ayant répondu et les réponses. Nous avons utilisé une méthode qui s’apparente aux votes par correspondance des élections avec l’intervention de tiers de confiance avec devoir de confidentialité.