Les usages familiaux et sociaux du baptême et du parrainage en France

le Lundi 29 Mars 2010 à l’Ined, salle Sauvy

Discutant : Paul-André Rosental (Sciences-Po et Ined)

Dans la France actuelle, où la place des Eglises et des rites religieux s’est pourtant largement réduite depuis quarante ans, les pratiques du parrainage perdurent. Environ 50% des enfants continuent d’être baptisés catholiquement. Et l’on assiste au développement du parrainage civil, en dehors du cercle restreint des militants libre-penseurs où il était longtemps resté cantonné. L’importance des usages sociaux et familiaux du parrainage, qui semble une évidence dans d’autres pays (Italie, Roumanie, Grèce notamment) est cependant une réalité sous-estimée. Elle ne l’est pas d’ailleurs que dans les travaux portant sur la société contemporaine. Dans le cadre de cet exposé, nous tenterons de retracer à grands traits l’histoire en France des usages sociaux du parrainage depuis la fin du Moyen-Age, en insistant sur la grande plasticité et flexibilité de ce lien. Nous dégagerons trois grandes périodes :

1) La fin du Moyen-Age et le XVIe siècle-jusqu’à l’application des réformes religieuses- sont marquées par la pluralité des pratiques à l’échelle locale, et par la diversité des usages sociaux, qui ne peuvent être rapportés à une stratégie de mobilisation dominante. Le clergé peine à imposer sa propre vision du parrainage à la société.

2) Les réformes religieuses, aussi bien protestante que catholique, constituent une étape essentielle, soit en remettant en cause la parenté spirituelle voire la notion de parrainage, soit en cherchant à uniformiser les pratiques et à y effacer les dimensions profanes. Malgré des succès incontestables, on reste frappé par les résistances auxquelles firent face ces offensives des Eglises. L’époque moderne, en particulier le XVIIe siècle, continue d’être marquée par la prégnance des usages socio-relationnels, voire économique, du parrainage, ou plutôt du compérage, puisque le lien au filleul paraît secondaire par rapport à la relation qui s’établit entre les parents charnels et les parents spirituels du nouveau-né. Avec des nuances par rapport à d’autres pays, c’est à cette époque sans doute qu’en France la verticalisation des choix de parrainage est la plus nette et que l’institution apparaît comme un des supports privilégiés des rapports clientélaires dans la société.

3) Une transformation majeure se produit aux XVIIIe-XIXe siècles. On observe un double mouvement d’horizontalisation et surtout de familialisation des choix de parrainage. Ces évolutions s’inscrivent dans le processus de sécularisation de la société française, mais aussi dans un mouvement de renforcement de la place de la parenté au sein des relations sociales, qui est visible à travers d’autres indicateurs (témoins de mariage, mariage dans la consanguinité, etc.). La familialisation du parrainage, particulièrement nette dans les élites sociales, où « l’endogamie spirituelle » était traditionnellement plus forte, ne signifie pas ipso facto élimination des usages socio-relationnels du parrainage. Elle peut même participer des stratégies de renforcement des solidarités économiques et identitaires dans la parenté. Elle a en tout cas des conséquences sur les Eglises qui doivent entériner des évolutions rituelles contraires à leur offensive de l’époque des réformes.