Peut-on se fier aux bases de données internationales sur la gouvernance ? Une confrontation entre enquêtes-experts et enquêtes-ménages en Afrique subsaharienne

le Lundi 05 Mai 2014 à l’Ined, salle 111, de 14h à 15h

Intervenant: Mireille Razafindrakoto & François Roubaud (IRD-DIAL)

L’émergence des institutions, de la gouvernance et tout particulièrement de la corruption, comme enjeu majeur du développement a engendré la multiplication de bases de données internationales censées mesurer ces concepts. L’objectif est de s’interroger sur la pertinence et les limites des indicateurs globaux de gouvernance basés sur la perception des experts. Notre analyse mobilise un dispositif d’enquêtes originales réalisées simultanément dans huit pays africains, couplant deux types d’enquêtes sur la même thématique. Les premières, menées auprès de la population (avec un échantillon de 35 000 personnes au total), permettent d’obtenir un certain nombre d’indicateurs de gouvernance basés sur les expériences, les comportements et les points de vue. Ces enquêtes fournissent notamment une mesure objective de l’incidence et des caractéristiques de la petite corruption bureaucratique. La seconde, menée auprès de 350 experts (enquête-miroir), mesure la perception que s’en font les experts.

En confrontant ces deux sources, nous montrons que ces derniers surestiment systématiquement l’incidence de la corruption et que le classement des pays induit par leurs perceptions n’est pas corrélé avec la réalité. L’erreur d’appréciation des experts est d’autant plus forte que les pays sont mal notés dans les bases internationales, pénalisant les plus pauvres d’entre eux. Les analyses économétriques mettent également en évidence la présence de biais idéologiques, ainsi que l’existence d’un modèle culturel implicite, cohérent mais erroné, sur la façon dont « l’Afrique fonctionne ». Les experts ont tendance à surestimer massivement le niveau de tolérance aux pratiques corruptives de la part de la population et à sous-estimer l’importance qu’elle accorde aux questions de « bonne gouvernance ». Ces résultats plaident en faveur d’un usage plus précautionneux et raisonné des indicateurs globaux de gouvernance et confirment la nécessité de les compléter par des enquêtes auprès des acteurs concernés.