Bertrand Geay et Xavier Thierry

nous présentent une enquête inédite sur les apprentissages d’enfants scolarisés en Moyenne section de maternelles, mise en œuvre par l’Unité Elfe au printemps 2016 dans près de 9 000 écoles

Ined- Colette Confortès

Bertrand Geay, directeur adjoint de l’Unité Elfe et responsable du Groupe Ecole. Professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie, il y dirige le CURAPP (laboratoire du CNRS). Ses recherches en sociologie portent sur le syndicalisme et l’action collective dans le secteur de l’éducation, la socialisation enfantine et les politiques scolaires. Xavier Thierry est démographe, chercheur à l’Ined et membre de l’équipe Elfe depuis 2010. Il a pris part à la mise en place et à l’évaluation des enquêtes annuelles et coordonne les équipes de recherche en sciences sociales (démographie, socialisation, économie, développement, alimentation) ainsi que le Groupe Ecole au sein duquel a été préparée cette nouvelle étape de suivi des enfants de la cohorte.

(Entretien réalisé en décembre 2015).

Quelle est la problématique scientifique de cette enquête en milieu scolaire ?

Rappelons d’abord que l’Etude Longitudinale Française depuis l’Enfance (Elfe) est une enquête nationale représentative débutée en 2011 auprès de 18 000 enfants suivis de la naissance à l’âge de 20 ans.

Avec l’entrée de l’enfant à l’école maternelle, l’équipe Elfe lance une collaboration avec le monde éducatif pour réaliser cette enquête qui s’intéresse aux premiers apprentissages de l’enfant dans leur globalité, c’est-à-dire, les interactions entre socialisation familiale et socialisation scolaire. Il n’existe en France aucune étude de grande ampleur sur les relations entre les expériences précoces de l’enfant (premiers liens avec ses parents, grands-parents et personnels des modes de garde, leurs styles éducatifs) et les processus d’intégration à l’école maternelle (apprentissages préscolaires, développement cognitif, socialisation).

Interroger des enfants requiert l’accord des adultes. Comment vous y prenez-vous ?

Les familles participantes à Elfe ont été contactées en maternité à la naissance de l’enfant. Elles ont toutes consenti par écrit à l’étude et sont informées des résultats scientifiques. Les enfants Elfe auront 5 ans en 2016. Leurs enseignants vont être invités à établir les niveaux de leurs apprentissages préscolaires selon un protocole précis. Concrètement, après accord des parents, ils pourront remplir un questionnaire sur l’élève et faire réaliser de brefs exercices ludiques sur les premiers apprentissages. Ces derniers seront effectués avec l’enfant Elfe et trois autres enfants sélectionnés aléatoirement. Les parents ont déjà été informés de cette opération, les enseignants le seront en janvier, la phase de recueil se déroulera entre avril et juin 2016. Les premiers résultats leur seront restitués.

Quels types d’informations allez-vous recueillir auprès d’enfants aussi jeunes ?

L’appréciation de l’enseignant est renseignée par un questionnaire sur les acquisitions et prises en charge spécifiques de l’enfant Elfe et sur les caractéristiques de la classe et de l’enseignant. Les exercices directement exécutés par les enfants couvrent les préapprentissages dans les domaines du français (reconnaissance de sons et de lettres, compréhension orale) et des nombres (identification de collections, reconnaissance de nombres, numération).

Outre ses garanties d’anonymat et de sécurité des données personnelles, Elfe n’a qu’une seule finalité : étudier les parcours individuels d’un échantillon d’enfants répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain. Près d’une école sur quatre est concernée.

En quoi cette recherche est-elle inédite ?

À la différence des études menées par le Ministère de l’Éducation nationale, notamment avec les panels d’élèves entrés en Cours préparatoire, l’étude Elfe a recueilli des informations précises sur la biographie des enfants depuis leur naissance L’opération a été conçue en concertation avec le ministère de l’Éducation nationale et l’Institut Français de l’Éducation. Cette opération éveille le souvenir de l’ambitieuse enquête sur le « niveau intellectuel des élèves » (avec son échantillon de 120 000 enfants de 6 à 13 ans) réalisée à l’Ined en 1965, qui alimenta les travaux de P. Bourdieu. Déjà celle-ci traitait des inégalités sociales et familiales ! Cinquante ans plus tard, le suivi de la cohorte des enfants Elfe permet d’associer le monde enseignant à la fabrique de données de recherche sur la socialisation et le développement des enfants.