Christelle Hamel

nous parle de l’aide aux victimes de mariages forcés

Ined-Colette Confortès

Christelle Hamel, chercheure à l’Ined et co-responsable de l’unité Démographie, genre et sociétés, supervise l’enquête Virage (Violences et rapports de genre). Avec Nisrin Abu Amara (post-doctorante à l’Ined), elle a mené une étude statistique sur 1 000 dossiers suivis entre 2007 et 2011 par l’association Voix de Femmes, qui vient en aide aux personnes confrontées à un mariage forcé.

(Entretien réalisé en novembre 2014)

Quel était le but de cette étude, menée avec le soutien du Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Les mariages forcés sont en diminution en France. Au sein des familles migrantes, les relations entre générations ont considérablement évolué pour laisser plus de place aux choix individuels des enfants. Les mariages forcés sont loin de constituer la norme, ils sont bien plutôt une transgression à la norme grandissante du libre choix amoureux dans ces familles.

Ici, l’objectif était d’identifier les besoins des victimes en termes d’accompagnement et de mieux cerner leur situation au moment du mariage. Par définition, l’étude ne concerne que les jeunes femmes qui demandent de l’aide, qu’elles aient déjà été mariées ou redoutent de l’être.

Qui sont les femmes qui appellent l’association ?

Les appels reçus par Voix de Femmes (250 cas par an environ) ne représentent probablement qu’une toute petite partie des victimes. Ce sont des femmes jeunes, voire très jeunes. Parmi celles qui étaient déjà mariées au moment du premier contact avec Voix de femmes, un quart étaient mineures au moment du mariage, un quart avaient entre 18 et 20 ans. Leur âge au mariage est beaucoup plus bas que dans la population en général, aux alentours de 30 ans, et que dans la population issue de l’immigration. Les femmes d’origine maghrébine par exemple, se marient plutôt vers 27 ans.

Que nous apprend l’étude sur les situations qu’elles vivent ?

Les dossiers contiennent parfois des indications sur les motivations des parents. L’honneur de la famille est souvent mis en avant, avec la volonté de contrôler la sexualité des filles. Mais surtout les témoignages révèlent l’ampleur et la multiplicité des violences subies. Les violences psychologiques sont les plus fréquentes : chantage affectif  (« tu ne nous aimes pas »), chantage au suicide, menaces d’usage de la violence sur la petite sœur ou sur la mère, dénigrement, insultes. Le mariage vient interrompre une scolarité, hypothéquant la possibilité de trouver un emploi, puis d’accéder à une autonomie financière. Ces jeunes femmes se trouvent alors piégées, dans l’impossibilité matérielle de fuir. Alors les violences se cumulent : dans plus de la moitié des dossiers, des faits de violences conjugales sont relevés.

Quels sont les principaux problèmes rencontrés par l’association dans la prise en charge de ces jeunes femmes?

La première urgence est de trouver un hébergement. Les associations dénoncent le manque de structures spécifiques pour les femmes victimes de violences depuis des années. C’est un constat dans l’étude. Une fois le mariage annoncé, il est célébré dans un délai très proche. Il faut être très réactif. Voix de Femmes aide les jeunes femmes à demander une protection judiciaire pour jeune majeure, ce qui permet d’interdire leur sortie du territoire et d’éviter que le mariage soit organisé à l’étranger. Mais cette protection peut être longue à obtenir.

Quelles pistes permettraient d’améliorer la prévention et l’accompagnement?

Il faut inciter les différents acteurs à travailler en réseau – policiers, médecins, travailleurs sociaux, juristes. Les besoins des victimes sont multiples : bénéficier d’une protection, trouver un hébergement, recevoir un soutien psychologique ou médical, être accompagnées dans les démarches juridiques, reprendre une formation. Comme dans tous les cas de violences, il faut accompagner dans tous ces domaines en même temps pour que leur situation s’améliore.

Voix de femmes vient de mettre en place la ligne d’écoute SOS mariage forcé : 01 30 31 05 05.