Delphine Remillon

chargée de recherche à l’Ined, nous parle de l’ouvrage "Le dictionnaire des conventions"

(Entretien réalisé en décembre 2016)

Qu’est-ce que l’économie des conventions ?

Ce courant de pensée est apparu en France au milieu des années 1980, sous l’impulsion d’économistes (dont beaucoup travaillaient à l’Insee et réfléchissaient aux conventions statistiques sur lesquelles reposent quantification et évaluation) et de sociologues. Les conventions correspondent à des représentations collectives, des références partagées qui résolvent des problèmes de coordination en environnement incertain. Ces représentations sont conventionnelles au sens où il s’agit d’une solution parmi plusieurs envisageables et qu’elles peuvent toujours être remises en cause. L’analyse conventionnaliste est donc nécessairement dynamique. L’objectif n’était « pas tant d’offrir une théorie meilleure que de rouvrir le langage de la théorie économique » qui accorde trop de poids à la rationalité et pas assez aux institutions, indique Olivier Favereau, l’un des principaux fondateurs et animateurs de l’économie des conventions. Cette conception des conventions est présente dans les travaux de Keynes qui l’emploie pour désigner ce qui guide les anticipations et interprétations des opérateurs sur les marchés financiers. Mais il y a bien d’autres domaines où il y a de l’incertitude et un besoin de conventions pour y faire face : l’activité de production (conventions de qualité des biens et modèles d’entreprise), le recrutement, le système de santé, etc.

Dans quel but ce dictionnaire a-t-il été constitué ?

Nous avons voulu publier un ouvrage en l’honneur d’Olivier Favereau, à l’occasion de son départ à la retraite. Les personnes souhaitant participer à cet hommage étant très nombreuses, la forme du dictionnaire s’est imposée à nous. Les contributeur-e-s ont ainsi produit de courts textes en fonction de leurs thèmes de recherche, tout en mobilisant les travaux conventionnalistes. L’ambition était aussi de faire le point sur l’écho et le positionnement que peuvent avoir aujourd’hui en sciences sociales le concept de convention et les questions qui lui sont liées.

Le dictionnaire rassemble à la fois des entrées sur des personnages tels que Herbert Simon, Émile Durkheim ou John Rawls, mais également sur des thèmes aussi variés que ceux de « santé », « art » ou encore « entreprise ».

Cet ouvrage pourrait être qualifié de « dictionnaire non standard des conventions », comme nous avons d’ailleurs intitulé l’introduction de celui-ci. Au-delà de la référence aux catégories de « théorie standard » et « non-standard » proposées par Olivier Favereau en 1989, nous signalons ainsi qu’il ne s’agit pas d’un dictionnaire où l’ensemble des entrées balayeraient tous les concepts clés de l’économie des conventions. D’ailleurs, les 75 auteurs n’appartiennent pas uniquement au courant conventionnaliste. La pensée d’Olivier Favereau, point de départ de cette publication, a rassemblé des chercheur-e-s de différentes disciplines, faisant dialoguer leurs propres recherches avec l’économie des conventions. La diversité des entrées offre ainsi une clé d’entrée originale sur de nombreux débats contemporains dans les sciences sociales.

La démographie économique peut-elle mettre à profit l’économie des conventions ?

Différentes entrées de ce dictionnaire illustrent le fait qu’économie des conventions et démographie économique se répondent. Le texte d’Olivier Thévenon, par exemple, présente la famille comme reposant sur une série de conventions qui sont des représentations partagées de la famille et des relations qui la composent. S’interroger sur ces conventions permet de comprendre les motifs mais aussi les formes que peuvent prendre la coopération au sein des familles, d’analyser comment se stabilisent ou évoluent certaines configurations familiales ou encore sur quelles conventions reposent les politiques familiales. Mon entrée sur les « carrières », analysant les parcours de chômage, montre que l’économie des conventions apporte aussi un éclairage aux trajectoires des individus. Les moments critiques dans ces dernières ont souvent pour origine des tensions entre différentes représentations, évaluations ou, plus précisément, conventions.
De manière plus large, l’économie des conventions, comme la démographie économique, s’attache à prendre en compte les outils et apports des autres disciplines.