Léonard Moulin

Chargé de recherche à l’Ined, nous parle de sa recherche doctorale sur les effets de l’introduction de frais d’inscription sur les étudiants dans l’enseignement supérieur.

Une thèse primée à plusieurs reprises et pour laquelle il a notamment reçu en janvier le Prix Eicher 2017.

(Entretien réalisé en janvier 2017)

Qu’est-ce qui a motivé le choix de ce sujet de thèse ?

Je me suis intéressé à ce sujet lorsque la question des frais d’inscription est apparue dans le débat public, aux niveaux national et international. La question des effets de ces frais sur la sélection et sur la réussite des étudiants a été peu traitée. Pourtant, en modifiant les conditions d’accès, les modalités de sélection et les coûts de la scolarité, les frais d’inscription sont susceptibles d’impacter l’ensemble de la trajectoire individuelle des étudiants. C’est donc pour répondre à cette question au cœur du débat citoyen que j’ai décidé d’entreprendre une thèse sur le sujet.

Sur quels éléments porte le débat ?

Il existe trois motivations aux frais d’inscription.
La première concerne la justice sociale. L’enseignement supérieur comprenant une part très importante d’étudiants issus des milieux favorisés, la gratuité peut apparaître comme anti-redistributive. Néanmoins, pour que les frais d’inscription puissent garantir l’équité, il faudrait que les contributions financières soient progressives et que les mécanismes de compensations financières en direction des étudiants les moins favorisés leur permettent d’entreprendre des études dans de bonnes conditions matérielles. Or, à l’étranger, cela n’a jamais été concomitant à l’augmentation de frais d’inscription.
La deuxième est celle de l’efficience économique. Des frais d’inscription élevés permettraient de sélectionner les étudiants, de les inciter à l’effort et de les orienter. Des recherches récentes montrent qu’à niveau scolaire identique, les étudiants issus des milieux les moins favorisés se tournent davantage vers des formations courtes et professionalisantes lorsque l’enseignement supérieur est payant. De la même manière, on observe dans certains pays une explosion du nombre d’étudiants obligés d’accepter un emploi ne correspondant pas à leur qualification à l’issue de leurs études pour rembourser leurs prêts étudiants.
Enfin, la troisième concerne la nécessité d’augmenter les budgets des universités. Néanmoins, les expériences internationales montrent que l’État se désengage au fur et à mesure que les frais d’inscription augmentent et que les mécanismes d’accompagnement de ces frais peuvent se révéler très couteux pour les finances publiques. À titre d’exemple, l’augmentation récente des frais d’inscription en Angleterre a engendré une hausse du budget de l’État pour l’enseignement supérieur en raison de l’augmentation du taux de défaut sur les prêts étudiants.

Quelle est la tendance récente en matière de frais d’inscription ?

Il n’y a pas de tendance unique. En utilisant la typologie des États-providence (Esping-Andersen), on peut distinguer trois arrangements institutionnels. Le premier est le régime de type social-démocrate caractérisé par l’absence ou la faiblesse de frais d’inscription et par l’existence d’un système de bourses ou d’allocations assurant aux étudiants les conditions matérielles pour entreprendre leurs études. Le deuxième régime, de type libéral, se caractérise par des frais d’inscription élevés et par l’existence de mécanismes de prêts particulièrement développés, l’octroi de bourses dans ces pays se faisant essentiellement sur critères académiques. Ces deux régimes renvoient à des conceptions très différentes de l’éducation : bien collectif ou investissement individuel. Il existe un troisième régime, de type conservateur, aux niveaux de frais d’inscription relativement faibles, avec une quasi-absence de prêts et un système de bourses sur critères sociaux et éventuellement académiques développé mais insuffisant pour couvrir l’ensemble des coûts auxquels font face les étudiants. Dans ce dernier régime, la tendance est plutôt souvent à l’augmentation des frais d’inscription.

Vous avez mené une étude empirique sur l’introduction de frais d’inscription à l’Université Paris Dauphine, quelles sont vos conclusions ?

Les frais d’inscription ont modifié les types de parcours étudiants débouchant sur une inscription en master d’économie-gestion à Dauphine. Ils ont conduit à sélectionner davantage d’étudiants préalablement inscrits dans une grande école ou dans un établissement d’enseignement supérieur étranger, au détriment des étudiants venant d’une université autre que Dauphine. Je montre également que, contrairement aux prescriptions des modèles théoriques, l’introduction de frais d’inscription n’a pas eu d’effet sur la réussite académique des étudiants.

Allez-vous poursuivre à l’Ined vos travaux de recherche à ce sujet ?

Tout en continuant à travailler sur les trajectoires éducatives, je souhaiterais élargir mes sujets de recherche. J’aimerais envisager la manière dont les différentes trajectoires individuelles des jeunes (scolaires, de mise en couple, de logement ou d’emploi) se superposent et interagissent entre elles pour étudier leurs singularités, mais également leurs interdépendances et leurs temporalités respectives. J’aimerais ainsi étudier la manière dont les structures démographiques, l’origine sociale, le genre, les événements familiaux, l’autonomie ou les politiques publiques contribuent à expliquer les parcours des jeunes.