Olivier Thévenon

nous parle des évolutions du congé parental en France

© Ined - Colette Confortès

Olivier Thévenon est l’un des responsables de l’unité de recherche démographie économique de l’Ined. Ses recherches portent notamment sur les politiques familiales des pays de l’OCDE et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Il analyse les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement en matière de politique familiale (entretien réalisé le 1er octobre 2014).

 

 

Pour réduire le déficit de la branche famille de la Sécurité sociale, le gouvernement a présenté une série de mesures d’économie, notamment une modification du congé parental. Quelles sont les caractéristiques du système actuel ?

La France propose l’un des congés parentaux les plus longs d’Europe, avec une durée maximale de trois ans. Mais elle permet aussi de faire garder son enfant très tôt, dès trois mois, en crèche ou par une nourrice. Cette double possibilité est censée garantir un « libre choix » entre les différents modes de garde.
En réalité, ce choix est extrêmement contraint. Les familles plus aisées ont plus fréquemment accès à une garde à domicile ou en structure collective. Celles dont les revenus sont faibles (et où la femme a une position assez précaire sur le marché du travail) utilisent davantage le congé parental, souvent faute d’avoir obtenu une place en crèche.
Autre caractéristique, le congé parental français, qui associe une durée longue et une allocation forfaitaire très faible, est presque exclusivement utilisé par des femmes (96 % des congés sont pris par les femmes), même si ce droit est ouvert aux deux parents. A l’inverse, les pays nordiques offrent plutôt un congé court, mais un niveau d’indemnisation proportionnel au salaire, ce qui est déterminant en matière d’égalité hommes-femmes.
L’Islande, par exemple, octroie un congé parental de neuf mois, trois mois réservés à la mère, trois autres au père et les trois derniers partagés à la convenance du ménage, avec une allocation qui représentait encore 80 % du salaire avant la crise.
Des pays comme l’Allemagne ont réformé leur système dans ce même esprit, ce qui a permis d’augmenter le nombre de jours de congés pris par les pères. Le Portugal se distingue par un dispositif assez innovant : c’est le seul pays où l’indemnisation est plus importante quand les deux conjoints prennent un congé.

Le projet du gouvernement, qui va partager la durée totale du congé parental entre les deux parents, va-t-il inciter plus de pères à en profiter ?

Je ne le crois pas car l’allocation reste la même : il manque le paramètre financier, qui est essentiel pour que les hommes prennent un congé excédant les quelques jours du congé paternité.
Je perçois même un risque d’appauvrissement, car les pères qui le feront seront probablement ceux des familles à bas revenus, dont la perte de rémunération sera comparativement plus faible. Les ressources de ces familles pourraient donc encore baisser. Sans compter le possible effet négatif du congé parental sur les parcours professionnels, en terme de salaires par exemple, qui fragilisera deux parents au lieu d’un.
La réforme pose un autre problème. Si le congé parental de la mère est raccourci, de trois ans à 18 mois, par exemple, et que le père n’utilise pas les mois qui lui sont réservés, cela permettra certes de réaliser des économies pour la branche famille. Mais il faut que, parallèlement, l’accueil de la petite enfance se développe. Or de lourdes incertitudes pèsent sur les objectifs de création de places en crèche, parce que leur coût augmente mais aussi que les premiers effets de la crise se font sentir sur l’engagement financier des communes.
Entre une réduction du congé parental, dont je doute qu’elle modifie le comportement des pères, et un développement de l’accueil en crèche très incertain, je ne vois pas de réformes suffisamment avancées pour réellement permettre une meilleure conciliation entre travail et vie familiale.

L’ensemble de ces mesures marque-t-il une inflexion de la politique familiale française ? Peut-elle avoir un impact sur la fécondité, comme le dénoncent leurs détracteurs ?

S’il y a un effet, il ne jouera sans doute pas sur la naissance du premier enfant, ni même du deuxième, mais affectera peut-être la décision de faire le troisième. Mais ce qui a le plus d’impact dans une politique familiale, c’est surtout la façon dont elle est perçue, la confiance qu’elle suscite ou non chez les familles.
Depuis 2013, il s’est passé beaucoup de choses, comme la réduction du quotient familial, le plan d’investissements sur l’accueil à la petite enfance… On assiste à une vraie reconfiguration de la politique familiale pour l’inscrire dans la politique sociale, à la façon des pays nordiques, avec un recentrage des dépenses vers les services d’accueil et un plus grand effort redistributif (augmentation des aides aux familles les plus défavorisées et diminution pour les plus aisées). Paradoxalement, la méthode de réforme donne l’impression d’une navigation à vue, d’une simple logique de réduction des aides, sans cohérence ni vision à long terme. Il ne faut sans doute pas négliger l’effet que cela peut avoir sur la perception de la politique familiale.
Enfin, on peut aussi s’interroger sur le choix de faire porter l’effort de réduction et de redistribution des aides familiales sur les seules familles, sans toucher par exemple au quotient conjugal.