Wilfried Rault

La légalisation du mariage homosexuel dix ans plus tard

Dix ans après l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, le sociologue Wilfried Rault, chercheur à l’Ined, a répondu à nos questions.

(Entretien mis à jour en mai 2023)

Quel bilan dresser dix ans après la légalisation du mariage homosexuel et la célébration des premières unions?

Entre 2013 et 2022, un peu plus de 70 000 mariages homosexuels ont eu lieu. En 2022, l’âge moyen au mariage des couples de même sexe est d’environ 44 ans pour les hommes et d’un peu plus de 38 ans environ pour les femmes – il est respectivement de 40 ans environ et de près de 37 ans environ au sein des couples de sexe différent qui se sont mariés la même année. Ainsi, l’âge moyen au mariage a baissé pour les couples de même sexe (alors qu’il a augmenté pour les couples de sexe différent) ; assez élevé peu après la légalisation du mariage homosexuel, il a en effet diminué ensuite. Cela traduit sans doute un effet de rattrapage, assez logique, de premiers mariés qui attendaient l’ouverture du mariage depuis longtemps. On peut faire également l’hypothèse que cette tendance renvoie, en moyenne, au fait que ces couples se sont formés plus tardivement, notamment parce que le passage par l’hétérosexualité demeure fréquent dans les trajectoires de personnes homosexuelles, signe que l’on est encore loin d’une banalisation de l’homosexualité. La différence entre hommes et femmes à propos de l’âge tient probablement aux enjeux de parenté : les femmes vivent plus souvent avec des enfants que les hommes. 

Si, au début, beaucoup de mariages de couples de même sexe ont été enregistrés par rapport au pacs, à partir de 2017, pour les couples de même sexe, le nombre annuel de pacs repasse devant les mariages. A tranche d’âge identique, les couples de même sexe sont plus souvent pacsés ou en union libre et moins souvent mariés que les couples de sexe différent. 

Quels aspects intéressent le sociologue?

Il est intéressant d’en savoir plus sur ce qui a poussé les gens à se marier. C’est ce à quoi Gaëlle Meslay a consacré sa thèse de de doctorat en sociologie. Il existe, comme pour les couples de sexe différent, une grande diversité d’usages du mariage. Certaines personnes mettent en avant des raisons juridiques (par exemple, bénéficier des dispositions sur la succession qui n’existent pas dans le pacs). Pour des couples qui ont eu des enfants, mais dont une seule personne est reconnue comme parent - à l’image de couples de femmes qui ont eu recours à une procréation médicalement assistée dans les pays voisins, le mariage a pu être choisi parce qu’il donnait accès à une procédure d’adoption du parent non reconnu légalement.
D’autres usages sont plus d’ordre symbolique. Gays et lesbiennes ont parfois vécu des stigmatisations, voire des rejets assez explicites. Le mariage peut représenter pour eux et elles une reconnaissance sociale signifiant aux autres la respectabilité de leur vie privée. Le droit a en effet un potentiel de légitimation important, même s’il ne suffit pas qu’il évolue pour que les comportements hostiles cessent.
Il est également instructif de regarder les mises en scène du mariage. Lorsqu’on étudie le mariage des couples de sexe différent, on voit bien combien l’évolution du mariage contemporain est lisible dans les transformations du rituel. Le mariage des couples de même sexe permet plus encore de saisir les mutations du rituel matrimonial. 

Les statistiques sur les unions suffisent-elles à mesurer la portée de la légalisation du mariage homosexuel ?

La légalisation du mariage des couples de même sexe ne peut pas être regardée uniquement par le prisme de celles et ceux qui l’utilisent. Du point de vue des populations gays et lesbiennes, c’est la liberté de choix qui importait et le fait de ne pas être traité différemment des couples hétérosexuels. L’enjeu était de faire reconnaître l’homosexualité comme un mode de vie comme un autre et d’avoir le choix de se marier... mais aussi de ne pas le faire ! Sur le plan historique, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe s’inscrit finalement dans une série de transformations du mariage. Aujourd’hui, il n’est plus systématique et il intervient parfois après une très longue période de cohabitation, après l’arrivée d’enfants... Cela contraste beaucoup avec le modèle historique dans lequel on se mariait avant de vivre en couple, avant d’avoir des enfants, voire avant d’entrer dans la sexualité. C’est aussi parce que le mariage est devenu appropriable, qu’il renvoie moins à un unique modèle de vie privée, qu’il est devenu envisageable pour les couples de même sexe.

Pour les chercheurs qui étudient ces questions, quel est l’impact de la légalisation du mariage homosexuel?

Sur la question des minorités sexuelles en général et des couples de même sexe en particulier, il y a encore beaucoup de choses à apprendre en démographie et en sociologie, même si les recherches ont nettement progressé depuis une quarantaine d’années.
La reconnaissance légale du couple de même sexe amorcée depuis la fin des années quatre-vingt-dix a modifié la donne : il y a aujourd’hui une attente de recherches en sciences humaines et sociales, alors que celles-ci étaient parfois regardées comme « exotiques » auparavant. De ce point de vue, l’adoption du mariage pour les couples de même sexe rend les choses plus faciles, notamment dans la mesure où il crée une nouvelle catégorie statistique et systématise l’inclusion des couples de même sexe dans les enquêtes. L’Insee a par exemple fait un travail important pour saisir les couples de même sexe dans le recensement et améliorer la qualité des données. Par ailleurs, outre la possibilité de se déclarer en couple avec un personne de même sexe dans les enquêtes, on observe plus globalement une adaptation des outils pour prendre en compte les minorités sexuelles. Par exemple, au Royaume-Uni, une question sur l’orientation sexuelle a été introduite dans le recensement, ce qui permet de faire des analyses inédites. 

L’une des principales limites de ces nouvelles données tient au fait qu’elles sont transversales, c’est-à-dire qu’elles reposent sur des situations individuelles au moment où une enquête est réalisée. En revanche, on manque de données plus longitudinales qui permettent de saisir les trajectoires individuelles plus finement ou de données rétrospectives qui permettent d’en savoir plus sur le passé et donc sur les parcours. Une autre limite de ces nouvelles données tient également au fait qu’elles sont généralement collectées sur les couples cohabitants, et qu’elles laissent souvent de côté d’autres configurations. Or les formes relationnelles qui ne s’inscrivent pas dans ce cadre sont relativement fréquentes dans les minorités sexuelles. Des enquêtes en préparation rendront possibles de nouvelles recherches sur tous ces points.