Mieux mesurer la pauvreté à la petite enfance :
une meilleure prise en compte des conditions de vie

Press release Published on 25 November 2020

La mesure de la pauvreté à la petite enfance a longtemps été limitée à son aspect monétaire au travers du revenu disponible du ménage ou son aspect en conditions de vie du ménage. En s’appuyant sur les données de l’enquête Elfe* (Étude Longitudinale Française depuis l’Enfance), Marion Leturcq et Lidia Panico, chargées de recherche à l’Ined, accompagnées de Bárbara Castillo Rico, docteure en économie, réinterrogent la manière de mesurer la pauvreté en conditions de vie des enfants en bas âge. À travers un travail original, elles mettent en place de nouveaux indicateurs qui permettent d’adopter le point de vue de l’enfant.

Les revenus du ménage ne suffisent pas à décrire l’expérience de la pauvreté
Il existe plusieurs manières de mesurer la pauvreté dans l’enfance. De nombreuses études calculent la proportion d’enfants vivant dans des ménages à bas revenus, généralement identifiés comme ceux dont le niveau de vie est inférieur à 50 % du niveau de vie médian (évalué à 1840 euros mensuels en 2017 par l’Insee, la moitié des ménages vivant mensuellement avec un niveau de vie inférieur). D’autres études utilisent des critères de privation au niveau du ménage, en faisant l’impasse sur les besoins spécifiques des enfants. Dans cette étude, quatre indicateurs ont été calculés pour mesurer la pauvreté en conditions de vie de très jeunes enfants : les conditions de vie matérielles comme l’impossibilité d’acheter de nouveaux vêtements, de partir en vacances ou encore de s’offrir des cadeaux ; les conditions de logement telles que le surpeuplement ou les difficultés à se chauffer ; les conditions de logement extrêmes caractérisées par l’absence d’accès à des sanitaires et à l’eau chaude ; et enfin l’implication parentale qui correspond à la qualité des interactions entre les parents et l’enfant, mesurée par l’allaitement ou le « peau à peau » pour les enfants de deux mois, ou jouer et lire des histoires pour les enfants de un an.

Des mesures contrastées et complémentaires de la pauvreté des enfants en bas âge
Selon l’indicateur classique de la pauvreté monétaire, près d’un enfant en bas âge sur dix vit dans un ménage pauvre. C’est une mesure restrictive de la pauvreté, quand on la compare aux autres indicateurs. Parmi les enfants de 2 mois, la proportion dépasse 12 % lorsqu’on considère les conditions de logement et 14 % lorsqu’on tient compte des conditions de vie matérielle. Dans un registre non matériel, l’indicateur qui enregistre la qualité de la relation parent-enfant indique que, à un an, près d’un enfant sur cinq est en situation de privation.

Les indicateurs identifient des populations pauvres qui ne coïncident qu’en partie.  Par exemple, parmi les enfants âgés de 2 mois, plus d’un tiers de ceux considérés comme pauvres du point de vue des conditions matérielles, ne le sont pas du point de vue monétaire. Et parmi les enfants considérés comme pauvres du point de vue de l’implication parentale, moins de la moitié seulement sont considérés comme pauvres monétairement.

Comparaison entre la pauvreté monétaire et les dimensions de la pauvreté en conditions de vie

 

 

Quels sont les enfants les plus exposés au risque de pauvreté ?
La prise en compte de plusieurs indicateurs permet de mieux cerner les facteurs qui exposent les enfants à un fort risque de pauvreté. Par exemple, vivre dans une famille monoparentale est très fortement corrélé à la pauvreté en conditions de vie matérielle et à la pauvreté monétaire. En revanche, ce groupe est moins exposé à la pauvreté en conditions de logement. Il présente par ailleurs un risque moindre sur le plan de l’implication parentale deux mois après la naissance, mais cette tendance s’inverse au moment du premier anniversaire de l’enfant. Un jeune enfant dont les parents sont issus de l’immigration présente quant à lui un risque de pauvreté en conditions de logement plus fort, mais moindre en ce qui concerne l’implication parentale. Ces analyses suggèrent donc que les groupes « défavorisés » ne sont pas homogènes et que ces différents groupes pourraient nécessiter différents types de politiques pour les soutenir au mieux.

La question de la pauvreté des enfants est aujourd’hui au premier plan des politiques nationales en France. Cette étude souligne ainsi la nécessité de mettre en place d’autres critères que celui du revenu du ménage pour identifier les enfants vivant dans des conditions difficiles. De nouvelles mesures contribueraient ainsi à des politiques publiques plus adaptées qui tiendraient mieux compte de la complexité de ce phénomène et de son caractère multidimensionnel.

Pour en savoir plus :
Bárbara Castillo Rico, Marion Leturcq et Lidia Panico, 2020, "La pauvreté des enfants à la naissance en France. Résultats de l’enquête Elfe", Revue des politiques sociales et familiales: 35-49.