Les différences d’âge au sein des couples en France

Communiqué Publié le 29 Janvier 2019

Dans la majorité des couples hétérosexuels, en France, l’homme est plus âgé que sa conjointe. Grâce aux données du site français Meetic.fr, Marie Bergström analyse les préférences déclarées des femmes et des hommes sur l’âge de leur conjoint et montre que l’écart d’âge observé entre les partenaires résulte d’un compromis entre les sexes dont les attentes divergent.

L’enquête Épic[1] réalisée en 2013 et 2014 pour comprendre comment se forment les couples, a montré que les femmes sont plus attachées à un écart d’âge en faveur du partenaire masculin. Alors que quatre hommes sur cinq (79 %) disent qu’ils accepteraient facilement une femme plus âgée (de 5 ans ou plus), seulement un peu plus de la moitié des femmes s’imaginent avec un partenaire plus jeune (53 %). Cette réticence féminine envers un partenaire cadet est particulièrement forte chez les jeunes : parmi les 26-30 ans, seulement un tiers des femmes accepteraient facilement cette idée (33 %). Les hommes quant à eux sont, à tous les âges, très majoritairement ouverts au scénario d’une conjointe plus jeune comme plus âgée.

Sur Meetic.fr, les choses sont assez différentes. L’analyse de Marie Bergström a porté sur 401 208 profils d’utilisateurs anonymisés[2] du site de rencontres comportant de très nombreuses informations sur l’usager et ses préférences ainsi que sur une base de données contenant des métadonnées relatives à de plus de 25 millions d’e-mails échangés sur le site (identifiants de l’expéditeur et du destinataire, date et horaire de l’envoi). Couplées avec les profils d’utilisateurs, ces données permettent de savoir « qui contacte qui ».

 

Des préférences d’âge affichées généreuses

Un premier constat de cette analyse concerne la différence entre les préférences affichées et les pratiques. Ainsi, les préférences déclarées par les utilisateurs de Meetic.fr concernant l’âge de leurs partenaires potentiels dépassent largement l’écart d’âge effectif des couples qui se situe à 1,9 an au sein des couples formés via un site de rencontres et 2,3 ans dans la moyenne générale. Les hommes indiquent un intervalle moyen de 13,8 ans (entre l’âge minimum et l’âge maximum) et les femmes un intervalle moyen de 10,9 ans. Tandis que les jeunes font preuve de préférences plus restrictives, l’éventail s’ouvre vers la trentaine, avec des pics de 14,2 ans pour les femmes à 34 ans, et de 15,7 ans pour les hommes à 37 ans, avant de se restreindre ensuite de nouveau. Les différences sont amplifiées aux pôles des âges, comme chez les jeunes où l’on est rapidement « trop jeune » ou « trop vieux », et chez les personnes âgées où le spectre de la vieillesse amène hommes et femmes à s’intéresser surtout aux personnes proches en âge ou plus jeunes.

Les jeunes femmes réclament le plus nettement un âge plus élevé pour l’homme. À partir de 35 ans, elles s’ouvrent cependant progressivement à l’idée d’un partenaire cadet, en même temps que l’éventail se resserre autour de leur âge propre. Après avoir manifesté un désir fort pour un écart d’âge traditionnel, les femmes se montrent surtout intéressées par des hommes proches en âge. Les préférences déclarées par les hommes sont surtout marquées par un intérêt croissant avec l’âge pour des partenaires plus jeunes. Alors qu’entre 18 et 28 ans les utilisateurs du site ont pris dix ans, l’âge minimum moyen sollicité n’augmente que de 3,7 ans (passant de 18,7 à 22,4 ans). Les hommes de plus de 60 ans rejettent très souvent l’idée d’une partenaire plus âgée qu’eux (seuls 48 % indiquent une fourchette d’âge incluant des femmes ainées).

 

Un inversement des attitudes des hommes et des femmes avec l’âge

Un second constat relève que, si les tranches d’âges indiquées dans les profils sont relativement généreuses, les contacts initiés sur Meetic.fr se situent dans un spectre plus étroit. Les échanges engagés entre utilisateurs et utilisatrices sont caractérisés par un écart d’âge moyen de 2,4 ans en faveur de l’homme. Tout comme l’écart entre conjoints varie selon l’âge à la mise en couple, l’écart entre les interlocuteurs du site varie avec l’âge de l’expéditeur.

Aux âges jeunes, les hommes contactent des personnes plus âgées comme plus jeunes. En vieillissant, ils préfèrent les femmes plus jeunes. L’écart d’âge avec leurs interlocutrices passe de 2,2 ans en moyenne en faveur de la femme chez les 18-24 ans à 7 ans en moyenne en faveur de l’homme chez les 60-70 ans. Chez les utilisatrices, c’est l’inverse. Les femmes jeunes contactent largement des hommes plus âgés (la moyenne est au-dessus de 5 ans en faveur de l’homme chez les 18-39 ans) alors qu’après 40 ans, elles sollicitent aussi des utilisateurs plus jeunes (la moyenne est de presque 4 ans en faveur de la femme chez les 60-70 ans).

L’apparente constance de la différence d’âge au sein des couples hétérosexuels est donc trompeuse. Des processus différents mènent à ce même résultat final. En début de parcours affectif, ce sont surtout les femmes qui réclament cet écart tandis qu’au moment des deuxièmes unions, ce sont en premier lieu les hommes qui le recherchent. Il faut savoir que, passés 40 ans, 60 % des hommes et 68 % des femmes qui utilisent le site se déclarent séparés ou divorcés avec enfant·s. Cette expérience conjugale et parentale marque davantage les préférences et les pratiques des utilisatrices. Invitées à renseigner si elles souhaitent avoir des enfants, 80 % des utilisatrices de 30 à 39 ans, séparées et déjà parents, rejettent cette idée contre 55 % des utilisateurs dans la même situation. De même, à âge constant, être parent et se dire « séparée » ou « divorcée » conduit les femmes à recentrer les préférences d’âge déclarées autour de leur âge propre et à échanger avec des hommes plus proches en âge. Ce n’est pas le cas des hommes dont les expériences parentales et conjugales marquent peu leurs préférences et leurs pratiques. Séparés ou non, parents ou pas, les hommes se sentent jeunes et sollicitent des femmes qu’ils identifient comme l’étant également.

 

L’écart d’âge comme un compromis entre les sexes

L’étude identifie enfin l’inversement des attitudes des hommes et des femmes envers l’écart d’âge entre 35 et 40 ans : jusque-là, les hommes sollicitent relativement souvent des utilisatrices plus âgées qui ne se montrent pas tant intéressées par eux. Après 40 ans, les femmes se tournent en revanche plus facilement vers des hommes cadets qui, eux, s’intéressent alors à d’autres femmes, plus jeunes. Caractérisées par des orientations différentes, les préférences des deux sexes convergent finalement vers un léger écart d’âge en faveur de l’homme qui résulte d’une négociation où les hommes font des propositions amendées par les femmes. Par leurs réponses, et surtout par leurs non-réponses, les utilisatrices modèrent les aspirations des hommes pour les faire correspondre davantage aux leurs.

L’écart d’âge entre conjoints est donc le fruit d’un arbitrage. Alors que l’on se représente souvent le couple comme la rencontre entre deux désirs réciproques, les aspirations des femmes et des hommes divergent souvent et les unions ressemblent plus à un compromis qu’à ce que les Anglais appellent un perfect match – un accord parfait. La différence d’âge effective au sein des unions se situe en effet à cheval entre les revendications des femmes et des hommes. Ce compromis est cependant bien plus proche des préférences masculines signifiant que les échanges qui débutent en ligne reflètent davantage les critères d’âge affichés par les utilisateurs que ceux indiqués par les utilisatrices.

 



[1] Enquête « Étude des parcours individuels et conjugaux », Ined-Insee, 2013-2014. Coordinateurs : Wilfried Rault et Arnaud Régnier-Loilier.
[2] L’échantillon est composé de 51 % d’utilisateurs et 49 % d’utilisatrices, tous inscrits sur Meetic en 2014, âgés de 18 à 70 ans, et ayant envoyé au moins un email à une autre personne inscrite sur le site au cours de l’année.

Marie Bergström, « De quoi l’écart d’âge est-il le nombre ? L’apport des big data à l’étude de la différence d’âge au sein des couples », Revue française de sociologie. 2018/3 (Vol. 59), p. 395-422.