Les « experts » produisent-ils toujours de l’expertise ? Le cas des savants du Bureau international du travail dans l’entre-deux-guerres

le Lundi 08 Juin 2015 à l’Ined, Salle Sauvy de 11h30 à 12h30

Présenté par Marine Dhermy-Mairal (Ined) ; discutante : Morgane Labbé (EHESS)

L’objectif de cet exposé est d’interroger les notions d’expert et d’expertise, souvent mobilisées par les chercheurs pour penser les rapports entre le monde de la science et le monde politico-bureaucratique. Ces notions nous paraissent véhiculer en effet un certain nombre de présupposés théoriques qui ne conviennent pas toujours aux faits qu’elles entendent décrire, et leur usage nous semble ainsi en gommer la richesse. Les savoirs sur la population ont cette particularité qu’ils engagent, dans leur construction même, un certain rapport à l’action, tandis que les notions d’expert et d’expertise tendent à séparer strictement opération de connaissance et d’action, et à faire ainsi du savoir de l’expert en situation une forme de « savoir diminué », voire impur. Notre exposé propose de tester ces présupposés en prenant un cas historique, celui de l’engagement de savants au Bureau international du travail dans l’entre-deux-guerres, « experts » dont les activités consistaient à étudier diverses questions sociales afin d’aboutir à des actions coordonnées ou à la mise en place de conventions internationales en matière de législation du travail. Nous prendrons en particulier l’exemple de l’Enquête sur la Production réalisée entre 1920 et 1924 par le professeur d’économie politique de l’Université de Genève, Edgard Milhaud. Si cette enquête fut lourdement contestée par les représentants patronaux du Conseil d’Administration du BIT qui estimaient qu’elle était peu scientifique, si l’économiste lui-même fut régulièrement pressé par sa hiérarchie pour terminer son rapport « coûte que coûte », ce dernier ne cessa pas, néanmoins, de défendre l’autonomie de son travail sur la base de sa scientificité et de revendiquer une prétention à l’universalité.

 

Marine Dhermy-Mairal

est doctorante au Centre Maurice Halbwachs (Ehess-Ens) et à l’Institut National d’Etudes Démographiques. Sa thèse porte sur l’histoire des sciences sociales de l’entre deux-guerres à l’échelle internationale. Elle s’intéresse à la construction des savoirs dans les institutions orientées vers l’action et étudie plus spécifiquement les activités des fonctionnaires du Bureau international du travail dans l’entre-deux-guerres. Partant d’une histoire sociale des savoirs, elle remet néanmoins au premier plan les considérations proprement méthodologiques qui fondent la prétention des sciences à l’universalité.