L’armée comme instance de reproduction sociale. Les effets professionnels et familiaux des carrières militaires

le Lundi 17 Octobre 2016 à l’Ined, salle Sauvy, de 11h30 à 12h30

Présenté par Mathias Thura, CESSP-CSE (EHESS/Paris 1/CNRS) et IRSEM ; discutante : Sylvie Clément (Direction générale de la gendarmerie nationale)

Annuellement, les armées embauchent entre 15 000 et 20 000 nouvelles recrues, et reversent autant de militaires à la « vie civile », après des carrières de durées très variables et des parcours très hétérogènes.

Un des aspects centraux de la rhétorique développée au sein de l’institution est celui de la méritocratie et de l’égalité formelle de traitement de ses membres. Elle se présente comme un authentique ascenseur social en fonctionnement, comme en témoignent les récentes campagnes publicitaires pour le recrutement. Or, la sociologie produite à propos des militaires, guidées par la commande institutionnelle, n’a jamais mis cette question à l’épreuve. Elle s’est principalement focalisée sur les marchés de recrutement des soldats et sur leurs motivations à s’engager, mais malgré l’aspect économique et politique du devenir professionnel des militaires, les effets sur le long terme du passage dans les armées demeurent encore de l’ordre de l’impensé scientifique.

À partir de deux enquêtes conduites dans différentes composantes de l’armée de terre – la première portant sur le travail au sein d’un régiment d’infanterie et la seconde sur les trajectoires professionnelles des femmes militaires de l’armée de terre – nous monterons comment les pratiques concrètes de recrutement et de promotion dans les armées contribuent à l’entretien d’une reproduction des positions occupées, avant et pendant le passage dans l’institution.

Nous présenterons les modalités du tri qui s’opère sur les militaires tout au long de leurs carrières dans l’institution militaire. Loin d’avoir des effets socialement neutres, les mécanismes de recrutement, de promotion et de maintien dans la fonction militaire aboutissent à une reproduction de l’ordre social dans l’ordre militaire. Nous monterons d’abord comment le capital et la trajectoire scolaire jouent un rôle de plus en plus prépondérant depuis la « professionnalisation » des armées. Ensuite, nous aborderons les effets concrets du traitement différencié entres les hommes et les femmes militaires, et les mécanismes qui écartent statistiquement ces dernières des positions les plus valorisables et qui dans les mêmes temps les inscrivent dans des spécialités qui leur permettent d’occuper des places plus pérennes et d’envisager des parcours professionnels plus longs et plus aisément reconvertibles sur le marché du travail. Nous indiquerons par ailleurs comment l’environnement familial à une incidence sur la structuration des parcours professionnels des militaires. 

 

Mathias Thura

Mathias Thura est post-doctorant allocataire du Dim-Gid, rattaché au Cessp (Ehess/Paris 1/Cnrs) et chercheur invité à l’Irsem. Ses intérêts de recherche s’inscrivent à la croisée de la sociologie du travail et des groupes professionnels et d’une sociologie des techniques du corps et de l’esprit. Sa thèse porte sur les conditions de production des fantassins, l’incorporation des techniques du combat et sur l’administration de la violence physique au nom de la collectivité. Il travaille actuellement sur les carrières des femmes dans l’armée de terre. Il sera accueilli pour 2 ans à l’Ined à partir du 1er Novembre sur un contrat post-doctoral Ined-Ipops, afin d’étudier les effets de la sortie de l’institution militaire sur les devenirs professionnels et sur l’environnement familiale des militaires.