Sexualité, reproduction, fécondité : de l’intérêt de l’Etat à celui de l’individu ?

le Lundi 23 Mai 2016 à l’Ined, salle Sauvy, de 11h30 à 13h00 exceptionnellement

Présenté par Paul-André Rosental et Fabrice Cahen (Ined) ; Discutant : François Héran (Ined)

En développant la notion de "biopolitique", en montrant comment la vie humaine était, depuis l’époque moderne, "devenue objet de pouvoir", Michel Foucault a proposé un cadre interprétatif d’une grande fécondité, ayant abondamment nourri l’histoire des politiques de population, de reproduction et de santé. Depuis les années 1980-1990, en lien notamment avec l’essor des études de genre et le renouveau de l’histoire de la médecine, le thème du contrôle des corps a fait l’objet de nombreux développements.
De la lutte contre les comportements malthusiens à la légalisation de l’accès à la contraception et à l’IVG, de la « sexologie » et de la normalisation de la reproduction à la propagation des savoirs et techniques de la psychologie, une velléité de gouvernement des mœurs apparaissait comme évidente, et ce particulièrement dans le cas français, du fait d’un alliage solide et durable entre trois préoccupations - quantité, "qualité" et morale (familiale en particulier).

S’arrêter à la description des finalités n’est cependant pas suffisant, car les formes (parfois insoupçonnées), modalités et effets de la biopolitique peuvent s’avérer tout aussi éclairants et riches d’enseignements. En s’appuyant sur l’histoire de deux entreprises de longue haleine – la tentative de venir à bout de l’avortement illégal (de 1890 à 1975) et l’expérimentation d’une cité eugéniste à Strasbourg (de 1920 aux années 1980) - Fabrice Cahen et Paul-André Rosental revisitent les grandes politiques démographiques et sociales de la France contemporaine, s’attachant à observer l’arbitrage entre incitation et répression, coercition et sollicitation des désirs, imposition d’un intérêt général et encouragement à l’épanouissement individuel. Les deux ouvrages proposent, chacun à leur manière, une histoire longue des hésitations de la République face à la nécessité de concilier l’autonomie et la diversité des ménages avec la fabrique collective de la population et la lutte contre les inégalités. Ils interrogent la nature de la transition de l’après-guerre, montrant comment, selon des processus et des rythmes très variables, les registres de l’action publique furent redéfinis, non pas pour tourner le dos aux finalités collectives mais pour mieux tirer profit des aspirations individuelles. Comment se nouent ou se confrontent des régularités socio-démographiques, des régulations institutionnelles et des irrégularités sociales (anomalies statistiques, illégalismes,"agency" et contournements/détournement)? Telle est la question de fond qui traverse ces deux études.

Fabrice Cahen et Paul-André Rosental

Fabrice Cahen est historien, membre des unités 11 et 4, et du groupe Esopp
Ses travaux s’attachent à analyser ce qui fait de la vie humaine une  production sociale et un objet de régulations institutionnelles, à la croisée d’une histoire des populations, d’une histoire des savoirs et d’une histoire des politiques de population et de reproduction, avec pour lieu d’observation principal la France du XXe siècle. Ses terrains privilégies sont la lutte contre l’avortement, le traitement social de la stérilité avant et après l’apparition de l’AMP (Assistance médicale à la procréation), la politique de surveillance prénatale et la généticisation des choix reproductif.

Paul-André Rosental est Professeur des Universités à Sciences Po et chercheur associé à l’Institut National d’Études Démographiques (INED). Il est spécialiste de l’histoire et des politiques des populations (politiques démographiques, politiques sanitaires et sociales), domaines dans lesquels il dirige le groupe de recherche ESOPP (Études sociales et politiques des populations, de la protection sociale et de la santé). Au Centre d’études européennes de Sciences Po et en association avec le Centre d’Histoire, il dirige depuis juin 2012 le projet SILICOSIS ("De la silicose aux risques de la silice"), fruit d’un ERC Advanced Grant obtenu en 2011, qui articule les disciplines historique, médicale et les sciences sociales. Auteur de nombreux articles, contributions à des ouvrages et autres publications, Paul-André Rosental a également dirigé des numéros spéciaux de revues scientifiques, parmi lesquels, avec Regula Argast, “Eugenics after 1945", Journal of Modern European History, 10 (4) en 2012, et “Health and Safety at Work. A Transnational History”, Journal of Modern European History 7, 2009, 2.

 

  • Fabrice Cahen, Gouverner les moeurs. La lutte contre l’avortement en France, 1890-1950, Editions de l’Ined, 2016 [à paraître]
  • Paul-André Rosental, Destins de l’eugénisme, Le Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2016