Hommage à Matthieu Solignac

Matthieu Solignac nous a quittés le 20 décembre 2020

Chercheur associé à l’unité Démographie Economique de l’Ined, Matthieu avait noué de multiples liens avec l’Ined depuis presque 15 ans.

En 2006-2007, alors qu’il était étudiant en deuxième année de l’Ensae, Matthieu s’était passionné pour la démographie en suivant les cours de Laurent Toulemon. C’est au cours de l’été 2007 qu’il arrive à l’Ined, pour effectuer un stage au sein de l’unité Démographie Economique. Encadré par Ariane Pailhé et Anne Solaz, il contribua alors aux premières exploitations de l’enquête Familles et Employeurs, afin d’étudier les politiques de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale mises en place par les entreprises. La qualité de son mémoire lui valut d’être publié comme document de travail de l’Ined, fait rare pour un mémoire de stage. Matthieu tissa des liens forts avec les chercheurs de l’Ined au cours de ce stage.

Le parcours scientifique de Matthieu, marqué par l’interdisciplinarité et la dimension internationale, est remarquable. En 2008, fraîchement diplômé de l’Ensae et d’un master d’économie, il commence un doctorat, entre l’Ined et l’Ecole d’Economie de Paris, sous la direction de Laurent Gobillon. La même année, en 2008-2009, il approfondit sa formation à la démographie à l’Ecole Doctorale Européenne de Démographie (EDSD). En décembre 2013, il soutient sa thèse de doctorat en économie intitulée « Mobility in Motion: Essays on Transport, Mobility and Spatial Disparities ».

Les recherches de Matthieu sont au croisement de plusieurs disciplines, empruntant autant à la démographie qu’à l’économie. Elles ont permis d’éclairer une dimension souvent ignorée dans l’étude des migrations : l’émigration des immigrés. Il a participé à la mesure et la compréhension du phénomène en France (Solignac, 2018), et il a montré comment la prise en compte de l’émigration de retour permettait de comprendre les différences entre natifs et migrants dans le pays d’accueil, que ce soient les différences en termes d’accès à la propriété (Gobillon et Solignac, 2020) ou de santé (Guillot et al., 2018). Il s’intéressait également aux dynamiques spatiales des inégalités, étudiant notamment comment le taux de chômage local affecte l’entrée sur le marché du travail des jeunes (Solignac et Tô, 2018). Ses recherches sont reconnues par la littérature internationale. Elles ont été reprises et commentées dans la presse.

La mobilité n’était pas pour Matthieu un simple sujet d’études. Il la mit en pratique en travaillant dans de nombreux environnements scientifiques, en France comme à l’étranger. Après avoir passé ses trois premières années de thèse à l’Ined, il rejoignit l’Aix Marseille School of Economics pour sa quatrième année de thèse. Il fit ensuite un premier post-doctorat de 2012 à 2015 au département d’économie de Sciences Po. Entre 2015 et 2017, Matthieu effectua un deuxième post-doctorat à l’université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, dans le cadre d’un projet sur la mortalité des immigrés en France, coordonné par Michel Guillot. Ce séjour fut une période heureuse de sa vie. Il s’était très bien intégré au département, avait constitué tout un réseau d’amis parmi les doctorants et les post-doctorants et participait activement aux différents événements et séminaires. C’est à Penn que Matthieu avait rencontré sa future femme Dasha, et ils s’étaient mariés peu de temps avant son retour en France. Dans une interview donnée à son retour, il parlait avec joie de son expérience à Penn et des nombreuses relations professionnelles et amicales qu’il y avait nouées. La qualité et l’originalité de son parcours scientifique furent remarquées dès son retour. Il est le lauréat de la Chaire d’excellence du Labex iPOPs associant l’université de Bordeaux, l’Ined et le Conseil régional d’Aquitaine puis obtient en 2019 un poste de maître de conférences.

Très sensible à l’importance de la transmission des résultats de la recherche au grand public, Matthieu était toujours partant pour participer à des activités de vulgarisation comme la fête de la Science. Actif sur les réseaux sociaux, il partageait sur son fil Twitter les résultats de recherches sur la population. Il contribua activement à la création de la revue Regards croisés sur l’économie, dont il fut membre du comité de rédaction de 2007 à 2012. La revue vise à combler le fossé entre la recherche académique et le débat public en rendant compte des dernières avancées des sciences sociales et de leurs implications concrètes pour les politiques publiques. 

A l’image de sa passion pour le basket, Matthieu jouait collectif. Il versait dans l’entraide et l’échange. Toujours pédagogique, il était prêt à aider et à apporter son éclairage constructif. Très cultivé, très ouvert sur le monde, il savait rester humble, simple et accueillant, invitant les autres à discuter quel que soit le sujet. Matthieu était profondément humain, avec un intérêt et une attention authentiques pour les autres, des qualités si précieuses. Gourmand et fier de sa région d’origine, il aimait faire découvrir aux autres les spécialités régionales, qu’elles soient ruthénoises (gâteau à la broche et saucisson), aixoises (calisson) ou bordelaises (cannelés). Matthieu était surtout un merveilleux collègue et ami. Il nous manque déjà.