Hommage à Roland Pressat

Hommage à Roland Pressat, figure incontournable de la démographie

Professeur de mathématiques puis Directeur de recherche à l’Ined, Roland Pressat a popularisé le corpus des méthodes d’analyse démographique

Né en 1923, Roland Pressat avait d’abord entamé une carrière à l’Éducation nationale comme professeur de mathématiques mais à 30 ans il s’est réorienté vers la recherche démographique en entrant à l’Ined. « Muni d’une modeste licence de mathématiques, il avait écrit à Alfred Sauvy (Fondateur de l’Institut en 1945) pour lui demander comment on pouvait devenir démographe » ainsi que le relate Gérard Calot (Directeur de 1972 à 1992) dans sa préface aux mélanges publiés par Population en son honneur au moment de son départ à la retraite. C’est ainsi qu’il entra à l’Ined, avec une facilité qui déconcerte aujourd’hui. Il y fit l’essentiel de sa carrière, jusqu’à son départ en retraite 38 ans plus tard.

À l’époque, la démographie ne s’enseignait guère et c’est sur le tas qu’on l’apprenait. Mais Alfred Sauvy reçut Roland Pressat qui sut le convaincre et lui offrit alors un poste à l’Ined. Pari gagné au-delà de toute espérance ! Après des premiers travaux de recherche sous la houlette de Louis Henry, essentiellement consacrés à la situation démographique de la France, où il « apprend » très vite la démographie, il est chargé par l’Ined de rédiger un manuel. Il s’attèle avec passion à cette tâche, rode ses premiers jets en donnant ses premiers cours à l’Institut de démographie de Paris (IDUP) et ainsi paraît dès 1961 la première édition de l’ouvrage de référence : « Analyse démographique. Méthodes, résultats, applications » (rééditée en 1969).

Immense succès de ce manuel en Europe, bientôt traduit en Russe et en Polonais et en Espagnol. Au total il nous laisse une œuvre abondante si l’on ajoute Principes d’analyse (1966), Pratique de la démographie (1967), Démographie sociale (1971), Démographie statistique (1972), Les méthodes en démographie (1981), le manuel "Eléments de démographie mathématiques (2015) " et, sans oublier bien sûr le Dictionnaire de démographie (1979) traduit un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi en Chinois ou Vietnamien (cf. sa bibliographie complète en téléchargement). Sa rigueur ne s’appliquait pas seulement au maniement du chiffre, ni à l’enchainement des équations, mais aussi à la clarté du verbe et la qualité de l’écriture. Il n’a eu de cesse, dans chacun de ses écrits, à chacune de ses phrases, de trouver le mot juste pour traduire sa pensée. 

Roland Pressat n’a pas révolutionné l’enseignement de la démographie, il l’a tout simplement créé. Pédagogue dans l’âme il a su convaincre des cohortes d’étudiants de tous horizons du caractère indispensable de la démographie pour comprendre nombre de phénomènes sociaux ainsi que de la nécessité absolue d’utiliser de bons outils pour en faire l’analyse. Depuis plus de 50 ans, il n’est pas de démographe de profession sans « son » Pressat sur son bureau ou dans sa bibliothèque. Il est en effet l’auteur d’une méthode d’analyse démographique fondée sur la mesure statistique des phénomènes (fécondité, mortalité, etc.) à l’état « pur » (comme par exemple la probabilité de se marier), dégagés de toute interférence d’autres facteurs « perturbateurs », et sur une distinction rigoureuse entre analyse « de cohorte » et analyse « du moment », les fameuses perspectives « longitudinale » et « transversale ».

Certes il n’a pas inventé la théorie sur la dynamique des populations à la manière de Alfred Lotka (1880-1949), ni rédigé un traité de démographie comme l’avait fait Adolphe Landry (1874-1956), ni cherché à établir une théorie générale de la population que nous héritons de Alfred Sauvy (1898-1990), pas plus qu’il n’a construit des modèles de population censés représenter tous les cas de figure comme Jean Bourgeois-Pichat (1912-1990), Ansley Coale (1917-2002) ou Paul Demeny. Dans l’hommage publié lors de sa retraite, Massimo Livi Bacci a brillamment replacé la contribution historique propre de Roland Pressat à la fondation du versant empirique de la science démographique, sur des principes méthodologiques toujours appropriés, complémentaires d’approches formellement abstraites d’inspiration anglo-saxonne. L’œuvre de Roland Pressat a permis « la mise en place d’un cadre de référence précis sans lequel les recherches les plus avancées perdraient une large part de leur signification et de leur utilité »  (cf. article en téléchargement). 

Avec une rigueur inégalée et sur la base d’un outillage statistique très maitrisé et constamment épuré, Roland Pressat a construit les instruments de mesure des facteurs-clés du mouvement de la population et a considérablement enrichi, et surtout défini de façon cohérente, les liens entre les concepts et les indices nécessaires à la bonne compréhension de ces phénomènes. Cernant au plus près les subtilités et les pièges des statistiques démographiques, il a rendu accessible et compréhensible le calcul d’indicateurs synthétiques indispensables à l’analyse des effets combinés des facteurs de flux démographiques dans l’évolution de la structure des populations et leur renouvellement. Il est, avec Louis Henry et Paul Vincent, l’un des fondateurs de ce que l’on a appelé l’Ecole française de démographie (et par extension francophone) qui a convaincu d’abord en Europe puis, finalement, outre Atlantique.

Les Canadiens ne se sont pas trompés en lui proposant un poste de Professeur titulaire au Département de démographie de l’Université de Montréal où il a fait florès. Après quelques années, il a demandé à revenir à l’Ined. Problème, les chercheurs de l’Ined n’avaient pas à l’époque le statut de fonctionnaire et comme tous ceux qui ont voulu aller voir ailleurs, il avait dû démissionner. Pour revenir il lui fallait être de nouveau recruté. Mais, pour lui, ce ne fut qu’une simple formalité : il revenait chez lui et rentrait bien sûr par la grande porte !

Parallèlement à sa passion de l’enseignement, Roland Pressat a produit de nombreuses études et recherches démographiques. En toute abnégation il a été pendant près de 20 ans l’auteur anonyme du Rapport au Parlement sur la situation démographique de la France  que l’Ined doit produire annuellement en vertu des missions décrétées à sa création en 1945. Activité qui l’a conduit en 1970 à créer dans la revue de de l’Ined, Population, une rubrique spéciale sur la
Conjoncture démographique.

« Faisant preuve d’un éclectisme admirable » comme l’écrit Gérard Calot, il a aussi bien traité de projections démographiques que de fécondité, de contraception et d’avortement, de nuptialité, de divortialité ou de mortalité et de vieillissement des populations, tout en abordant des horizons aussi divers que la France, bien sûr, mais aussi la Chine, l’Union soviétique ou les pays en développement. Il a constamment eu un intérêt particulier pour le corps médical, dont témoigne sa grande assiduité à publier dans Le Concours médical, sans discontinuer de 1956 à 1991.

Enfin Roland Pressat n’était pas seulement un démographe passionné, il était aussi un amateur et collectionneur d’œuvres d’art.

 

Jacques Vallin, Patrick Festy, Xavier Thierry

Mise en ligne : janvier 2020