
Population 2024 n°2-3
2025
Éditorial
Damien Bricard, Géraldine Duthé, Delphine Remillon
Les femmes héritent-elles moins que leurs frères ? Inégalités des sexes devant l’héritage et les transferts intergénérationnels en Corée du Sud, 1971-2010
Dahye Kim, traduit par Céline Michaud , prix jeune auteur-e 2024
Interruptions de carrière et santé des mères après 50 ans : le rôle de la position sociale. Une étude à partir des données de la cohorte Constances
Constance Beaufils
Parcours de vie des jeunes Estoniens d’origine russe : une comparaison des pays d’origine et de destination
Katrin Schwanitz, traduit par Céline Michaud
Comment s’articulent les différences d’âge et les niveaux d’éducation dans le couple ?
Alessandra Trimarchi, Ignacio Pardo, Laurent Toulemon
Vieillissement de la population et dépendance économique en Thaïlande.
Guillaume Marois, Stuart Gietel-Basten, Wiraporn Pothisiri, traduit par Céline Michaud
Bibliographie critique
Valérie Aubourg, Hugues Fulchiron, Fabrice Toulieux. 2021. Les Réunionnais de la Creuse, des mineurs déracinés. L’Harmattan, 240 pages, par Mathis Arthemise
Amanda K. Baumle, Sonny Nordmarken. 2022. Demography of Transgender, Nonbinary and Gender Minority Populations. Springer, 250 pages, par Nathan Lévêque
Isabelle Clair. 2023. Les choses sérieuses. Enquête sur les amours adolescentes. Seuil, 400 pages, par Tania Lejbowicz
Anouche Kunth. 2023. Au bord de l’effacement. Sur les pas des exilés arméniens de l’entre-deux-guerres. La Découverte, coll. « À la source », 288 pages, par Éva Lelièvre
Bernard Lahire. 2023. Les structures fondamentales des sociétés humaines. La Découverte, coll. « Sciences sociales du vivant », 972 pages, par Daniel Courgeau
Wolfgang Lutz. 2021. Advanced Introduction to Demography. Edward Elgar Publishing, 224 pages, par Xavier Thierry
Anne Marchand. 2022. Mourir de son travail aujourd’hui. Enquête sur les cancers professionnels. Les Éditions de l’Atelier, 320 pages, par Sarah Demichel-Basnier
Khatharya Um, Hélène Le Bail (dir.). 2023. Générations post-réfugiées. Les descendants de réfugiés d’Asie du Sud-Est en France. Presses universitaires François-Rabelais, 322 pages, par Inès Munoz-Bertrand
Les femmes héritent-elles moins que leurs frères ? Inégalités des sexes devant l’héritage et les transferts intergénérationnels en Corée du Sud, 1971-2010
Dahye Kim, traduit par Céline Michaud , prix jeune auteur-e 2024
En dépit des modifications apportées dans de nombreux pays au droit des successions pour faire progresser l’égalité des sexes, l’efficacité de telles réformes reste incertaine. Cette étude examine le cas de la Corée du Sud, qui a réformé son droit des successions de façon à promouvoir l’égalité des sexes en 1991. À partir des données de deux enquêtes ménages nationales, notre recherche explore les transferts intergénérationnels (héritages et donations entre vifs) sur une période de quarante ans (1971-2010), et distingue trois groupes en fonction de la date de décès du père des héritiers : avant la réforme, peu après la réforme, et bien après la réforme. Même après la réforme, les résultats ne révèlent aucune réduction des disparités entre les sexes en matière de transferts intergénérationnels, parmi le faible nombre d’individus ayant déclaré avoir reçu un héritage ou des donations. Les donations entre vifs sont devenues un mode privilégié de transmission du patrimoine aux fils peu de temps après. La réforme n’a pas non plus permis d’instaurer un partage égal des parts entre les héritiers : de nombreux ménages ont continué à procéder à des partages inégaux par le biais de testaments et de négociations familiales. Ces résultats indiquent que la suppression des clauses discriminatoires du droit de succession n’est que la première étape vers l’égalité des sexes en matière de transferts intergénérationnels. Les normes sociales et culturelles prennent souvent le pas sur les réformes juridiques.
Interruptions de carrière et santé des mères après 50 ans : le rôle de la position sociale. Une étude à partir des données de la cohorte Constances
Constance Beaufils
Cet article étudie comment la position sociale agit sur les liens entre les interruptions de carrière et la santé des mères après 50 ans. Il mobilise les données collectées auprès d’un échantillon de 32 357 femmes au moment de leur inclusion dans la cohorte Constances, ayant eu au moins un enfant, ainsi que trente entretiens semi-directifs menés avec des femmes qui ont connu des interruptions d’emploi. Des modèles logit avec effets d’interaction mesurent les probabilités, pour les mères, de déclarer un épisode dépressif et une limitation fonctionnelle en fonction de leur trajectoire d’emploi entre 18 et 50 ans et d’indicateurs de la position sociale (diplôme, PCS du conjoint). Pour les mères moins favorisées, les interruptions longues ou définitives sont associées à des risques accrus de limitations fonctionnelles et d’épisodes dépressifs. Ce lien n’est pas observé chez les plus favorisées. Les récits de vie éclairent ce résultat en montrant que ces types d’interruption ont des implications inégales sur les conditions de vie, le parcours professionnel et l’identité des mères selon leur position sociale. Ils suggèrent aussi des risques de santé mentale spécifiques aux interruptions plus courtes pour les mères diplômées, toutefois non confirmés par les résultats statistiques.
Cet article propose une synthèse des travaux sur la localisation des immigrés dans les espaces ruraux en France, ainsi que leur mise en regard avec les travaux menés dans d’autres pays occidentaux. Il rend compte de la faiblesse et du cloisonnement des recherches sur ce sujet, qui s’expliquent notamment par le déclin de ce thème de recherche au xxe siècle, en lien avec les évolutions démographiques des espaces ruraux et le déclin des études rurales ; par le rôle de la demande publique, sensible au contexte politique et social, qui réoriente les recherches sur l’immigration dans le champ des études urbaines ; par la segmentation entre le champ des études rurales et celui des études migratoires ; enfin, par la faible théorisation des liens entre parcours individuels et configurations spatiales. L’article propose des pistes de recherche en s’appuyant sur la démarche biographique pour offrir une approche plus dynamique de la géographie de l’immigration en France.
Parcours de vie des jeunes Estoniens d’origine russe : une comparaison des pays d’origine et de destination
Katrin Schwanitz, traduit par Céline Michaud
Cette étude analyse les dynamiques démographiques des jeunes Estoniens d’origine russe (âgés de 15 à 35 ans) en explorant les principaux statuts qui marquent le passage à l’âge adulte. Elle mobilise pour cela, à partir de données de recensement exhaustives recueillies en Russie et en Estonie, une approche par cohorte synthétique origine-destination. Elle éclaire ainsi les similitudes et les différences concernant ces différents statuts, entre les Estoniens d’origine russe et leurs homologues Russes et Estoniens natifs, selon trois critères : le calendrier (la prévalence des statuts par âge), l’ordonnancement (les proportions d’individus par paire de statuts) et l’hétérogénéité (les combinaisons de statuts par âge). Dans l’ensemble, les résultats indiquent une certaine proximité démographique entre les Estoniens d’origine russe et les Estoniens natifs dans la sphère familiale (situation conjugale et parentalité), ce qui témoigne d’une adaptation aux modèles de vie familiale estoniens. Les différences entre les Estoniens d’origine russe et les Estoniens natifs se manifestent principalement dans les domaines non familiaux. L’analyse descriptive fait apparaître certains signes de désavantage dans la population immigrée (sur les plans éducatifs et professionnels), et de maintien de la culture d’origine (en matière d’indépendance résidentielle).
Comment s’articulent les différences d’âge et les niveaux d’éducation dans le couple ?
Alessandra Trimarchi, Ignacio Pardo, Laurent Toulemon
De nombreuses études ont cherché à comprendre la tendance à l’union entre individus de même niveau d’éducation. Cependant, l’interaction entre ce phénomène et les différences d’âge entre les conjoints reste peu étudiée. Cette étude apporte une double contribution. Tout d’abord, elle examine comment les écarts d’âge entre conjoints et l’homogamie éducative ont évolué dans la population de quatre pays sur cinq décennies. Deuxièmement, elle analyse les écarts d’âge entre les conjoints, particulièrement au sein des couples homogames dont les deux membres possèdent des niveaux d’étude similaires. L’étude s’appuie sur les données individuelles de recensement harmonisées IPUMSi, disponibles depuis les années 1960, pour le Brésil, la France, le Panama et les États-Unis. Les résultats indiquent une légère augmentation de la proportion des unions entre personnes du même âge parmi les couples composés de deux diplômés du supérieur, tandis que les proportions parmi les couples présentant d’autres combinaisons de niveaux d’études restent stables. De plus, notre étude révèle une hausse du nombre de couples où l’homme est beaucoup plus âgé que sa conjointe, en particulier dans les couples hypergames et les couples homogames à faible niveau d’instruction. Ces tendances sont observées dans les quatre pays examinés.
Vieillissement de la population et dépendance économique en Thaïlande.
Guillaume Marois, Stuart Gietel-Basten, Wiraporn Pothisiri, traduit par Céline Michaud
En Thaïlande, alors que le vieillissement de la population soulève des enjeux budgétaires et de dépendance économique, les indicateurs conventionnels du vieillissement risquent d’en donner une représentation trompeuse en négligeant certains changements sociétaux en cours. Compte tenu des améliorations en matière de santé et d’espérance de vie, qui devraient ralentir le rythme du vieillissement démographique, cette étude préconise de redéfinir le seuil de la « vieillesse » (habituellement fixé à 65 ans). Par ailleurs, elle intègre les évolutions du taux d’activité et de la productivité permises par l’élévation du niveau d’éducation et par la formalisation du marché du travail. À l’aide d’un modèle de projection démographique par microsimulation, notre analyse fournit des prévisions de la population thaïlandaise de 2020 à 2070 et calcule les ratios de dépendance qui tiennent compte de ces dimensions. Les résultats mettent en évidence l’importance des mesures destinées à accélérer la formalisation de l’économie et le développement du capital humain.