L’objectif de ce projet est d’interroger au moyen d’enquêtes quantitatives et qualitatives localisées les pratiques, ressources et effets socialisateurs du voisinage pour différentes catégories d’individus et dans différents contextes socio-spatiaux.
Depuis plusieurs décennies, l’accroissement de la ségrégation sociale puis ethno-raciale (Préteceille, 2006, 2009) est devenu un problème social et les travaux étudiant l’évolution des formes urbaines sont nombreux (Charlot, Hilal et Schmitt, 2009 ; Clech, 2015 ; Clerval, 2013). Les politiques publiques visant à favoriser la « mixité sociale » se multiplient (loi SRU renforcée, rénovation urbaine (Gilbert, 2013), interventions dans le peuplement en logement social (Launay, 2011), notamment), dans un contexte social d’incitations politiques à la déségrégation des classes populaires (Schwartz, 1998) qui dépasse la question urbaine. Plus rares sont les travaux qui analysent les rapports sociaux qui se nouent dans les situations d’entre-soi (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2016 ; Villechaise-Dupont, 2000) ou encore les dynamiques concrètes de cohabitation entre groupes sociaux variés (Cartier et al., 2008 ; Chamboredon et Lemaire, 1970). Par ailleurs, la place du voisinage a été considérablement transformée dans les dernières décennies par l’accroissement des mobilités résidentielles et le développement des technologies de l’information et de la communication (Forrest, 2007). Les liens sociaux urbains ne sont plus (ou plus seulement) des liens de proximité, et la proximité n’implique pas nécessairement de liens sociaux. Pour autant, il faut revenir à 1983 pour trouver trace de la dernière enquête quantitative d’ampleur sur le voisinage (enquête Contacts, Insee/Ined) (Héran, 1987, 1988). C’est donc l’objectif de ce projet phare que d’étudier les pratiques, ressources et effets socialisateurs du voisinage pour différentes catégories d’individus et dans différents contextes socio-spatiaux. Il s’appuie notamment sur l'enquête Mon quartier, mes voisins (Ined/Centre Max Weber, 2018), une enquête par questionnaires construite à cette fin ainsi que sur plusieurs enquêtes qualitatives. Depuis 2021, s'y ajoute une analyse spécifique d'un dispositif expérimental d’encouragement à la mobilité pour l’insertion.
Ce projet de recherche s’articule autour de quatre axes. Dans un premier axe, il s’agit de comparer les types de relations et de sociabilités qui se nouent dans différents contextes résidentiels – du centre vers la périphérie, des quartiers bourgeois aux quartiers populaires – et pour différents types de population. Il s’appuie pour ce faire sur la réalisation et l’analyse de l’enquête Mon quartier, mes voisins, dont l’objectif est de caractériser les relations de voisinage contemporaines et leurs variations en fonction des territoires, des groupes sociaux et des situations observés. Ce faisant, cette recherche ambitionne d’identifier les contextes géographiques et sociaux dans lesquels le voisinage constitue une ressource ou au contraire un obstacle à l’intégration sociale. En particulier, le questionnaire permet de préciser le rôle des relations de proximité pour différents types de population et enrichit les études de la mixité sociale en montrant comment la composition sociale des quartiers se décline (ou non) en réseaux de relations.Comment se répartissent les relations sociales des membres des catégories populaires selon qu’ils vivent en situation de mixité sociale programmée, de mixité sociale « de fait » (en quartiers gentrifiés) ou d’entre-soi ? Dans les contextes résidentiels mixtes, les réseaux de relation sont-ils en réalité clivés selon la classe sociale ou le statut d’occupation ? Et dans les contextes les plus homogènes, n’y a-t-il pas d’autres lignes de clivage (par âges, sexe, micro-différences de classes, statuts d’occupation…) ? Dans quels contextes les personnes âgées estiment- elles le plus pouvoir s’appuyer sur un voisin en cas d’urgence ? Dans quels contextes les femmes tendent-elles à être davantage isolées ou, au contraire, mieux entourées ? Peut-on faire une typologie de la place du quartier dans l’intégration sociale et si oui, comment s’y répartissent les différentes catégories de population ? L’exploitation des données quantitatives en cours devrait permettre de répondre à ces questions grâce à plusieurs types d’analyse (analyses de réseaux, analyse des données, régressions logistiques). Dans un second axe, il s’agira d’approfondir l’étude de la socialisation résidentielle, notamment à travers le cas des quartiers de mixité sociale programmée, ces programmes construits dans les années 2000 en zone urbaine dense où entre un quart et la moitié des logements est réservé au secteur social. Réinvestissant d’anciens espaces non habités en zone urbaine dense, ces quartiers ont pour particularité d’accueillir simultanément une population plutôt défavorisée (dans les logements sociaux qui comptent pour 25 à 50 % des habitations de ces quartiers) et une population de classes moyennes et supérieures (dans les logements du secteur privé achetés à prix forts étant donné la hausse des prix de l’immobilier en zone urbaine dense). Ici, nuls « nouveaux » ne viennent chasser les « anciens » habitants du quartier, comme en contexte de gentrification ; nuls « établis » ne doivent faire fassent à l’arrivée « d’outsiders » comme lors de la construction de logements sociaux dans des quartiers qui en étaient jusqu’alors peu dotées. Au contraire, des populations différentes arrivent en même temps et doivent négocier, au jour le jour, l’investissement de l’espace public, la forme des relations de voisinage et le type de vie de quartier qui s’y forme (ou non). Ces quartiers offrent la possibilité de revisiter l’étude des formes de mise à distance sociale (Chamboredon et Lemaire, 1970). La recherche ADEMI (analyse d’une démarche d’encouragement à la mobilité pour l’insertion) étudie un dispositif public d’accompagnement qui s’adresse à des personnes (et leurs familles) en situation de précarité en Ile-de-France, et qui vise leur insertion dans l’emploi et leur accès à un logement hors de l’Ile-de-France. En partenariat avec d'autres institutions (dont la DARES, l'Université de Rouen et l'École d'Économie de Paris), cette recherche associe, dans son volet sociologique, une enquête qualitative par entretiens biographiques répétés auprès de personnes inscrites dans le dispositif à une analyse de bases de données administratives. Il s’agit ainsi de contribuer à la compréhension des multiples déterminants sociaux qui concourent à la réussite ou au contraire à l’abandon des parcours de mobilité géographique, résidentielle et professionnelle, encouragés au sein d’un tel dispositif. Un quatrième axe, enfin, étudie les politiques de déségrégation complémentaires, qui procèdent à l’inverse en faisant venir des populations modestes dans des quartiers ou des territoires aisés. C’est le cas de la ville de Paris qui construit ou conventionne des logements situés dans les arrondissements de Paris identifiés comme déficitaire en logements sociaux au seuil de 5% (VIe, VIIe, VIIIe, XVIe, XVIIe). À partir des dossiers administratifs des bailleurs sociaux et des fichiers des demandeurs SNE/AIDA, une recherche entend comparer les caractéristiques sociodémographiques des ménages relogés à celles des autres occupants du parc pour questionner la sélection sociale du dispositif et caractériser la distance sociale aux autres habitants.
Les travaux inscrits dans ce projet font dialoguer différents types de matériaux (enquête quantitative, post-enquête qualitative, enquête ethnographique longue durée, observations, analyse de fichiers administratifs) ainsi que différents regards disciplinaires (sociologie, géographie, urbanisme, notamment). L’enquête Mon quartier, mes voisins : Réalisée en partenariat Ined/Centre Max Weber, l’enquête Mon quartier, mes voisins est une enquête par questionnaires conduite auprès de 2572 individus. La collecte a eu lieu au printemps 2018 dans 14 quartiers des régions parisienne et lyonnaise, choisis pour être représentatifs de sept types préalablement définis (quartiers populaires, gentrifiés et bourgeois en ville-centre, quartiers de grands ensembles en rénovation urbaine, quartiers de mixité sociale programmée, centres-villes dégradés de villes périurbaines, communes rurales). Le protocole a impliqué un double échantillonnage. Le questionnaire a permis de récolter des informations fines sur le rapport au quartier, la nature, la forme et l’intensité de leurs relations avec les habitants de leur immeuble et de leur quartier, les caractéristiques des personnes avec lesquelles les enquêtés sont le plus en relation, leur intégration sociale et spatiale, la scolarité de leurs enfants ainsi que leurs caractéristiques sociales et résidentielles. Pour en savoir plus : https://mon-quartier-mes-voisins.site.ined.fr/ La post-enquête qualitative : L’exploitation de cette enquête quantitative est suivie d’une post-enquête qualitative par entretiens auprès de plus de 200 personnes, choisies pour approfondir différents types de rapport à l’intégration sociale et urbaine par le voisinage. Les autres matériaux : Les autres projets de recherche mobilisent différentes techniques d’enquête localisée (entretiens, observations, exploitations d’archives et de documents administratifs).