Le projet intitulé « Identité et altérité » se
développe suivant plusieurs axes de recherche :
- les catégorisations et les représentations de
l’altérité ;
- les assignations identitaires approchées par
l’étude des parcours individuels
- la construction identitaire par l’étude des
réseaux d’appartenances et les institutions.
La manière de concevoir l’altérité en termes
d’ethnicité, réservée jusqu’alors aux sociétés
non-européennes, s’est élargie progressivement
aux pays d’Europe. Au moment même où les
frontières interétatiques deviennent plus
transparentes, des frontières internes surgissent
visant à subdiviser les nations en communautés
distinctes sinon distanciées, appliquant à leurs
membres présumés une image d’homogénéité
culturelle. Ces représentations conduisent à
surestimer les différences entre les communautés,
et à sous-estimer leur diversité interne.
La vague de recensements de population qui s’est
déroulée à travers le monde depuis 2005 offre un
contexte propice pour développer une réflexion
autour des catégories de l’altérité. Tout en
interrogeant la production de catégories profanes
et savantes, il convient de ne pas perdre de vue
que les manières de catégoriser l’espace social
nécessitent aussi de prendre en considération les
parcours individuels et collectifs. Les
dynamiques des relations sociales permettent une
prise en compte des processus en œuvre.
L’hypothèse d’une crise des identifications
traditionnelles au profit de formes
d’identification narratives et réflexives tend à
minimiser l’importance des contraintes sociales
dans la construction de soi. En substituant
l’acteur individuel, entrepreneur de sa vie, à
l’individu socialement déterminé, cette théorie
passe également sous silence le rôle d’autrui
dans la construction des identités pourtant
largement développé à partir des écrits de G. H.
Mead. Il semble donc intéressant, dans une
perspective sociologique, d’étudier comment les
relations avec autrui contraignent l’individu et
lui permettent en même temps de se réaliser comme
être singulier et social à la fois.
Ce projet est renforcé par l’adhésion de l’Ined,
depuis 2011, au Collège international des
Sciences du Territoire (CIST) auquel l’UR12
participe activement. Un axe intitulé Mobilités
Identités et Territoires a été développé au CIST
, sous la
responsabilité de France Guérin-Pace. Il permet
de renforcer les liens entre la démographie et la
géographie sur les thèmes du territoire et de
développer des collaborations scientifiques avec
des chercheurs d’autres unités de recherche
travaillant sur ces thèmes (Urmis, Migrinter,
Pacte, etc.) et d’autres institutions partenaires
du CIST (IAU, CGET, etc.), par des séminaires de
recherche et des soumissions de projets.
I – Recensement et justice sociale
(F. Guérin-Pace, H. Le Bras, M. Wievorka, E.
Filippova, R. Igreja, O. Hoffmann)
Ce projet s’est mis en place en 2011 par une
collaboration entre l’Ined, la FMSH et
l’Université de Columbia. Le premier workshop
s’est tenu à l’Université de Columbia en
septembre 2011, à l’initiative de Ken Prewitt,
en présence de chercheurs de différentes
disciplines (anthropologues, historiens,
géographes, économistes, statisticiens) et des
acteurs du recensement américain. Durant trois
journées, les 12 personnes réunies (six Français,
six Américains) ont échangé sur les modes de
catégorisation des populations dans le
recensement américain, les débats en cours
autour de ces questions en lien avec les
politiques sociales.
Une seconde rencontre a été organisée sur le
même modèle en juin 2013 à Moscou. L'exemple du
recensement russe est en effet très intéressant
dans la mesure où une observation participante a
été entreprise à différentes échelles d'action
(d'un membre du groupe d'expertise auprès de
l'agence statistique d'État à un simple agent-
recenseur) et à toutes les étapes de l'opération
de recensement (de la conception de l'enquête et
l'élaboration des catégories jusqu'à la
composition des tableaux des résultats), et ceci
dans de nombreuses régions du pays. Elle a
permis de faire dialoguer différents acteurs du
recensement (enquêteurs, statisticiens et
utilisateurs) en échangeant autour des
expériences américaine, française, et
brésilienne.
En mars 2014, une troisième rencontre s’est
tenue au Brésil, avec une participation des
chercheurs français, russes, mexicains, mais
aussi des chercheurs et acteurs du recensement
brésiliens. Les questions des catégorisations
raciales utilisées en vue de discrimination
positive ainsi que des populations indigènes ont
été au centre du débat. Un concept
spécifiquement brésilien de « démocratie raciale
» a été également discuté.
Ce projet se termine à la fin 2018 avec la
parution de l’ouvrage :
WIEVIORKA M., LE BRAS H., LEMOS IGREJA R.,
GUERIN-PACE F., FILIPPOVA E., 2018 : Diviser
pour unir ? France, Russie, Brésil, États-Unis
face aux comptages ethniques, Paris, Maison des
Sciences de l'Homme, coll. « interventions »,
2018, 204 p.
I I – Langues et rapports de Domination
(A. Filhon, F. Guérin-Pace)
Face au constat de l’existence d’une
hiérarchisation sociale des langues, nous
interrogeons ce rapport de domination en
privilégiant plusieurs entrées et échelles
d’observation : saisir comment les pays d’origine
contribuent à la valorisation des langues natales
des migrants et à leur inscription dans les pays
d’accueil. Ce projet est le fruit d’échanges avec
The European University Institute dirigé par P.
Fargues, en particulier dans le cadre du projet
Researching Third Country Nationals’ Integration
as a Three-way Process - Immigrants, Countries of
Emigration and Countries of Immigration as Actors
of Integration’ (INTERACT). Les rapports de
domination peuvent également s’observer dans le
rapport plus ou moins lettré à la langue. En
cela, l’analyse des trajectoires de personnes
évaluées en situation d’illettrisme (enquête IVQ
2011) est l’occasion de montrer que loin d’être
dépourvues de ressources sociales et de capacités
de mobilisation, les personnes évaluées en
difficulté face à l’écrit ne se vivent pas
nécessairement comme des « illettrés » malgré les
discours normatifs véhiculés. Une vingtaine
d’entretiens ont été réalisés en 2014-2015. Cette
recherche a bénéficié d’un soutien financier de
la DGLFLF.
III. Les parcours d’études
(A. Filhon)
Alliant approches qualitatives et quantitatives,
ce projet vise à mettre au jour les déterminants
sociaux permettant d’expliquer le devenir des
étudiants dans le système scolaire sans les
penser en dehors des cadres de socialisation
c’est-à-dire de leurs différents contextes de
vie. En cela, il convient d’inscrire ces parcours
d’études dans des structures sociales,
institutionnelles, familiales ou territoriales
tout en cherchant à saisir le sens que les
acteurs donnent à leurs pratiques.Dans le cadre
du 7ème programme de la Commission européenne, la
recherche GOETE (http://www.goete.eu/),
(Governance of educational trajectories in
Europe) réalisée en 2010, les parcours scolaires
d’adolescents ont pu être étudiés en prenant en
considération leur point de vue mais aussi celui
de leurs parents. Cette enquête repose sur un
échantillon de 6 389 collégiens et de 3408
parents. Elle a été réalisée dans 8 pays
européens (Allemagne, Finlande, France, Italie,
Pays-Bas, Pologne, Royaume Uni et Slovénie).
Les premiers résultats statistiques (Filhon,
IUSSP, Busan- 2013) révèlent qu’en moyenne les
jeunes filles se projettent scolairement plus
loin que les jeunes garçons avec parfois des
écarts importants en leur faveur comme en
Slovénie par exemple. En France, malgré une
réussite objective plus forte de la part des
jeunes femmes (I. Danic, A. Filhon, AISLF, 2012),
ces dernières restent encore aujourd’hui moins
ambitieuses que les jeunes garçons.
Enfin, une analyse de la dimension territoriale a
été menée (Filhon, 2015) révélant qu’en France
l’effet de l’établissement fréquenté peut être
plus discriminant que l’origine sociale.
iV. L’inscription spatiale des
immigrés dans les campagnes françaises
(J. Fromentin)
Héritage de l’histoire longue de l’immigration de
travail, l’implantation résidentielle des
immigrés et de leurs descendants se fait
essentiellement en milieu urbain dense en France
métropolitaine. Ainsi, en 2011, 64% des immigrés
résidaient dans des unités urbaines de plus de
200 000 habitants, contre seulement 39% des non
immigrés. De plus, 26% des immigrés résidaient
dans les unités urbaines petites et moyennes, et
10% dans l’espace rural (Enquête Famille et
Logements, 2011). Cette concentration spatiale
des immigrés dans les espaces urbains de forte
densité des pays développés, étudiée depuis
l’Ecole de Chicago (Burgess, McKenzie, Park,
1925), continue d’être un sujet majeur
d’interrogation pour les chercheurs en sciences
sociales.
En revanche, très peu de travaux récents
s’intéressent à l’implantation rurale ou
périurbaine des immigrés, alors qu’ils
représentent pourtant près d’un million
d’habitants des campagnes françaises définies
au sens large (RGP 2012). Ce projet, à la croisée
de la géographie et de la démographie, a
précisément pour objectif d’étudier l’inscription
spatiale des immigrés et de leurs descendants
dans les espaces ruraux, en s’intéressant
simultanément aux parcours individuels et aux
territoires. Ce double angle d’approche permet
d’apporter un éclairage nouveau sur les mutations
récentes des territoires ruraux mais aussi de
contribuer à un diagnostic fin de l’évolution
récente de la société française, par-delà des
entrées encore trop urbaines ou locales de
l’étude de l’inscription spatiale des migrants.
Trois axes principaux de recherche sont
envisagés, qui mêlent approches quantitative et
qualitative. Dans un premier temps, nous
chercherons à faire un état des lieux de la
présence des immigrés dans les campagnes en
France à partir des données des enquêtes
annuelles du recensement (EAR). Nous étudierons
la répartition spatiale des immigrés et de leurs
descendants dans les campagnes à l’échelle
nationale, ainsi que les évolutions de la
distribution spatiale de ces populations depuis
l’après-guerre.
Un second axe d’étude sera fondé sur une approche
par les parcours. L’inscription spatiale des
immigrés dans les campagnes se produit en effet
toujours à un moment donné de leur histoire de
vie individuelle. Il est alors nécessaire de
comprendre comment s’insère cette étape dans les
parcours géographiques des individus, en lien
avec leurs trajectoires familiales et
professionnelles. Des méthodes d’analyse des
données biographiques seront mises en œuvre et
des typologies de trajectoires géographiques
seront réalisées à partir des données de
l’enquête Histoire de Vie (Ined, 2003) pour
explorer les parcours de vie des individus.
Le troisième axe portera sur l’étude des
choix résidentiels des immigrés installés dans
les campagnes. Nous chercherons à étudier le
passage d’une inscription spatiale spécifique des
immigrés dans les campagnes, historiquement
fondée sur la présence de bassins d’emplois
agricoles et industriels, à une inscription
marquée par une variété de déterminants, en lien
avec la diversification des dynamiques des
territoires et des parcours résidentiels. Trois
éléments principaux nous semblent orienter les
parcours actuels : les mutations des systèmes
productifs, les politiques publiques et l’accès à
la propriété.
Enfin, ce projet s’inscrit aussi dans une
réflexion sur la construction des catégories de
l’altérité, et interroge la pertinence de
certaines catégories statistiques (« immigré », «
descendant d’immigré ») pour appréhender un
phénomène certes marqué par des déterminants
contextuels (vagues migratoires, etc.), mais
aussi par des déterminants individuels (choix de
localisation rurale, date d’installation, etc.).
Une collaboration avec des chercheurs du
laboratoire Migrinter à Poitiers est envisagée
pour ce projet, ainsi qu’une participation à
l’ANR JCJC « CAMIGRI – Les campagnes françaises
dans la dynamique des migrations
internationales » coordonnée par David Lessault
(Migrinter). Les résultats de cette recherche,
qui s’inscrit dans le cadre de la recherche
doctorale menée par Julie Fromentin (co-dirigée
par France Guérin-Pace (Ined) et par Christophe
Imbert (Migrinter, Poitiers)), donneront lieu à
des publications et des rencontres (colloques,
séminaires).
Ce projet s’appuie sur plusieurs sources de
données :
- Constitution d’un corpus de questionnaires de
recensement à travers le monde et d’un ensemble
de documents s’y rapportant (instruction aux
enquêteurs, articles de
presse, débats, forums, etc.)
- Entretiens auprès de personnes interrogées dans
l’enquête IVQ 2011
- Exploitation de l'enquête GOETE sur les
trajectoires scolaires de jeunes collégiens
- Données du recensement sur les immigrés (1968-
2015)
- Enquêtes HdV (2003), TeO (2008), EFL (2011)