Enquête ECAF

Sexualité, contraception, grossesses non prévues et recours à l’avortement en Afrique de l’Ouest et au Maroc

© IRD - Marie-Noëlle Favier

 

L’enquête ECAF (Contraception d’urgence dans 4 pays africains) a été conduite en 2006-2007, dans trois pays d’Afrique de l’Ouest, le Ghana anglophone, le Sénégal et le Burkina Faso francophones, et un pays d’Afrique du Nord francophone, le Maroc. L’enquête a été réalisée dans les capitales de ces quatre pays, où il était plus probable de pouvoir observer la diffusion de nouveaux modèles contraceptifs.

 

Des protocoles d’enquête similaires, à base d’entretiens semi-directifs, ont été utilisés dans les quatre pays. Ils permettent de faire ressortir les facteurs qui relèvent des contextes nationaux et ceux qui les transcendent pour rendre compte des difficultés contraceptives auxquelles sont confrontées les femmes, quel que soit leur quotidien. L’imposition plus ou moins forte des normes familiales et sexuelles est notamment en cause.
Les facteurs qui freinent l’utilisation de la contraception sont assez semblables dans les 4 pays : primauté accordée à la préservation de la fertilité, stigmatisation de la sexualité hors mariage et primat du plaisir sexuel masculin. Ce qui change toutefois d’un pays à l’autre, c’est le degré de rigidité de ces normes et l’importance de la différence de standard entre les sexes. La stigmatisation de la sexualité préconjugale est un bon exemple des spécificités nationales :

  • Elle est particulièrement marquée au Maroc où toute sexualité hors mariage est interdite ; il n’existe d’ailleurs aucune donnée sur le sujet dans les enquêtes démographiques (pas de module sur l’entrée en sexualité différent de l’entrée en union) et les programmes de planification familiale s’adressent exclusivement aux femmes mariées. Les jeunes Marocaines évitent les rapports pénétratifs et ne se sentent donc pas concernées par un risque de grossesse et par les techniques contraceptives. Préserver la virginité leur tient lieu de contraception, au risque d’ailleurs d’une pénétration non prévue.
  • Au Sénégal comme au Burkina Faso, les pratiques pour éviter toute pénétration avant le mariage sont parfois évoquées, mais plus rarement qu’au Maroc. La sexualité préconjugale y est tolérée pour les femmes et acceptée pour les hommes. La maternité hors mariage reste socialement mal acceptée mais la grossesse dite « non prévue », utilisée stratégiquement pour se faire épouser, ou pour faire accepter une union à l’entourage familial, est une réalité souvent rencontrée.
  • Au Ghana en revanche, la sexualité préconjugale est mieux acceptée et ne semble pas compromettre le recours à la contraception des jeunes femmes.

Finalement, c’est au regard des caractéristiques des modèles familiaux et sexuels que les difficultés contraceptives s’avèrent spécifiques. Le Maroc, qui enregistre la plus forte prévalence contraceptive dans un contexte où les politiques de diffusion de la contraception sont anciennes et bien ancrées dans le secteur public de la santé, s’oppose aux trois autres pays. Les femmes marocaines - comme les hommes d’ailleurs - semblent avoir véritablement adhéré au modèle de la fécondité conjugale restreinte autour de 2 enfants. Pour les femmes des trois autres pays, c’est davantage un modèle adopté par défaut, actuellement valorisé pour des raisons économiques et sanitaires, avec quelques réticences pourtant, car souvent perçu comme un modèle « à l’occidentale » imposé de l’extérieur, sauf pour les femmes dotées de capitaux sociaux importants. La prévalence contraceptive diffère entre les trois pays d’Afrique subsaharienne, mais le recours aux méthodes médicales (pilules, implants, DIU, stérilisation) est en revanche assez similaire. L’absence de différences marquées dans le rapport que les femmes entretiennent à la contraception peut traduire une évolution similaire des modèles familiaux et sexuels. Mais elle peut aussi renvoyer à une similitude de façade, cachant la permanence d’une domination de type patriarcal (père et mari) qui laisse finalement peu de marge à l’autonomisation réelle des femmes dans la gestion de leur vie affective, sexuelle et reproductive.