La difficile mesure de l’homoparentalité

La notion d’homoparentalité est récente. Ce sont les débats sur le pacte civil de solidarité en 1998-1999, le militantisme d’une association très active - l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) - et, plus largement, le mouvement de reconnaissance du couple de même sexe et des familles homoparentales par certains pays qui ont popularisé cette notion, qui n’existait pas il y a vingt ans. Elle suscite un intérêt grandissant dans la recherche en sciences sociales depuis une dizaine d’années. L’homoparentalité fait l’objet de travaux qui reposent sur des approches juridiques ou relèvent de la sociologie qualitative, mais elle reste difficile à quantifier, faute d’instruments adaptés.
Les différentes configurations des familles homoparentales
Une famille homoparentale réunit un parent ou un couple de
parents dont l’orientation homosexuelle est clairement reconnue et
un ou plusieurs enfants légalement liés à l’un des parents au
moins . L’homoparentalité recouvre de multiples situations que les
sciences sociales s’attachent à mieux décrire pour améliorer la
connaissance de ces configurations familiales et contribuer aux
débats en cours.
Certaines configurations homoparentales sont issues d’unions
hétérosexuelles et résultent de recompositions familiales. Tel
est le cas lorsqu’un ménage est composé d’un couple de deux
adultes de même sexe et d’enfants conçus antérieurement, dans un
couple hétérosexuel. D’autres sont issues du projet d’un couple
de même sexe ou d’une personne homosexuelle d’avoir des enfants.
Ce projet passe alors par l’adoption (nécessairement sur une base
individuelle dans la loi française ), par l’insémination avec
donneur ou par un processus de gestation pour autrui (à ce jour
illégal en France). La coparentalité correspond au projet de
plusieurs personnes (dont une au moins est homosexuelle)
s’accordant pour avoir un enfant ensemble et l’élever
conjointement. Tel est le cas lorsque le projet parental est
conduit par un couple gay et un couple lesbien, une personne
homosexuelle ou un couple de même sexe avec une tierce
personne.
Cette diversité des situations pose un véritable défi aux
sciences sociales. Comment saisir statistiquement l’ampleur de
l’homoparentalité ? Deux types d’instruments permettent de
dénombrer les configurations homoparentales : le recensement et
les grandes enquêtes quantitatives en population générale.
Chacun de ces instruments comporte toutefois des limites.
Le recensement de la population : une approche partielle
Le balayage systématique de la population par le recensement
devrait permettre en théorie de dénombrer les familles
homoparentales, si l’on prend pour critère le nombre de couples
corésidents de même sexe.
Il s’avère qu’en 1999, 0,3 % des couples sont constitués de deux
personnes de même sexe déclarant une vie en couple, à quoi
s’ajoutent 0,6 % d’« amis » de même sexe qui ne se disent pas
explicitement en couple mais en constituent vraisemblablement un
(Digoix, Festy, Garnier, 2004 ; Festy, 2006). Au total, les couples
corésidents de même sexe avoisineraient 1 % du nombre total des
couples, chiffre analogue à celui des pays voisins.
En posant qu’un couple de même sexe sur dix vit avec des enfants
et que ces couples ont en moyenne deux enfants (à l’instar des
couples de sexe différent), P. Festy aboutit en 2005 à une
estimation situant le nombre d’enfants résidant avec un couple de
même sexe dans une fourchette de 24 000 à 40 000, la grande
majorité vivant avec un couple de femmes.
Mais cette estimation privilégie la configuration la plus facile
à saisir dans un recensement : le couple de même sexe vivant dans
le même logement. En revanche, les couples non cohabitants et les
enfants qui vivent ailleurs ne sont pas recensés.
Les enquêtes en population générale : des effectifs insuffisants
Les enquêtes en population générale offrent une plus grande
latitude de questionnement que le recensement. Les questionnaires
sont plus développés et recueillent des éléments utiles pour
saisir les divers visages de l’homoparentalité. L’enquête
Contexte de la sexualité en France (CSF), réalisée par l’Ined et
l’Inserm en 2005-2006, a demandé à la fois à la personne
interrogée le sexe de son conjoint, si elle a eu des enfants et si
elle vit avec eux ou avec ceux de son conjoint. L’enquête permet
également de repérer les parents homosexuels non corésidents ou
les situations d’homoparentalité des personnes qui ne sont pas en
couple. Mais, au regard de la fréquence relativement peu élevée
de ces situations, l’échantillon de ce type d’enquêtes, qui
dépasse pourtant les 10 000 personnes, ne comporte que peu de
situations d’homoparentalité et ne parvient pas à bien
représenter et décrire les situations diverses. En effet,
l’enquête CSF confirme que les couples homosexuels
représenteraient un peu moins de 1 % de l’ensemble des couples
(corésidents ou non), mais ne permet pas d’isoler les familles
homoparentales, qui ne représentent qu’une minorité dans cette
minorité, c’est-à-dire quelques personnes tout au plus.
Entre le recensement trop vague et une enquête trop réduite, que reste-t-il comme solution ?
Une solution d’avenir serait l’aménagement de l’enquête Famille, associée au recensement de la population depuis 1954. La dernière édition, datée de1999, portait sur 380 000 personnes. L’Ined et l’Insee travaillent actuellement à une nouvelle édition, prévue en 2011, qui pourrait appréhender l’homoparentalité par le biais de questions nouvelles : le sexe du « conjoint » ou « ami » de la personne enquêtée, des informations précises sur leurs enfants respectifs, le recours éventuel au pacte civil de solidarité (PACS), l’existence de couples non cohabitants, et l’usage de plusieurs logements entre lesquels circulent les enfants.
L’ensemble des informations obtenues ferait ainsi apparaître les principales dimensions de l’homoparentalité, avec la même clarté que pour les autres types de familles.
Note : Focus publié en 2009. La dernière enquête « Famille », rebaptisée « Famille et logements », s’est déroulée en 2011 (Ined, Insee).
Contact : Wilfried Rault
Mise en ligne : juin 2009