Silicose, retour d’un vieux fléau au 21e siècle : entre médecine, commerce et politique

Loin d’avoir disparu, la silicose est au contraire, si l’on peut dire, l’une des maladies sociales et environnementales les plus prometteuses du 21e siècle. Elle est amenée à progresser à un rythme rapide, parallèlement à l’industrialisation des pays émergents.

La silicose, devenue une épidémie d’ampleur mondiale, a conduit à l’émergence de nouvelles formes de mobilisation contre les risques professionnels et environnementaux causés par les « maladies industrielles ». Définie comme l’accumulation progressive de tissus cicatriciels dans les poumons due à l’inhalation prolongée de poussières de silice cristalline, cette pathologie a émergé il y a longtemps à une époque où l’ensemble des pays industrialisés dépendaient du charbon pour fournir de l’énergie à leurs usines et chauffer leur population.

Les risques liés à la silice

La silice étant la principale composante minérale de l’écorce terrestre, elle pose un risque presque universel, soupçonnée d’entraîner des maladies chroniques sévères et considérée comme cancérigène par le Centre international de recherche sur le cancer, mais non par l’Union européenne, où les syndicats de producteurs se livrent à un lobbying actif.

La prise en compte de la silicose

Pour comprendre l’équilibre du pouvoir autour de cette terrible maladie – à la fois massive par le nombre de travailleurs touchés et cruelle par ses effets douloureux, incurables et souvent mortels – il convient de se replonger dans l’histoire. La médecine a toujours eu beaucoup de mal à prendre en considération les risques professionnels liés aux poussières. Ils étaient, en quelque sorte, trop universels pour être visibles. Bien que les observations médicales sur les maladies des mineurs aient été nombreuses dès le Moyen Âge, le pouvoir pathogène de la poussière n’a été identifié que par la médecine du 19e siècle. Dès le début, cette reconnaissance n’était pas seulement scientifique mais impliquait des enjeux politiques. Alors que les mouvements ouvriers exigeaient des indemnisations de la part des employeurs pour les maladies contractées au travail, l’industrie s’est efforcée de semer le doute pour minimiser voire négliger l’existence même des risques professionnels. Dans cette bataille, la découverte du bacille de la tuberculose dans les années 1880 a été, de manière surprenante, un facteur de régression. La tuberculose a été utilisée par les experts médicaux des entreprises pour attribuer les maladies pulmonaires des travailleurs à leurs habitudes « privées » – comme le tabagisme aujourd’hui. L’ouvrage raconte comment il a fallu un demi-siècle et une croisade transnationale pour que la « silicose » devienne dans les années 1930 une maladie à part entière, reconnue internationalement et prise en charge du fait de son origine professionnelle.

Les dangers liés à la silice n’ont toutefois jamais été pleinement reconnus. La législation est restée floue et sa mise en œuvre a toujours été remise en cause. Dans une large mesure, les règlements juridiques et sanitaires sur la silicose sont nés dans un contexte impérial et racial, celui des mines d’or sud-africaines à la veille du 20e siècle. Depuis, l’industrie a utilisé des moyens comparables dans le « premier monde » et dans les pays émergents pour contourner les règlements, et ce au sein de divers régimes politiques : démocraties libérales avec un secteur minier privé (États-Unis, Australie) ou nationalisé (Royaume-Uni, France), pays socialistes sous domination soviétique ou encore dictatures corporatistes.

Source : Silicosis. A World History, Paul-André Rosental, Johns Hopkins University Press, 2017

Contact : Paul-André Rosental

Mise en ligne : septembre 2017