Aline Désesquelles, Roméo Fontaine, Thomas Huet, Laurent Toulemon et Mathieu Trachman

nous parlent des études réalisées par l’Ined sur la population carcérale.

(Entretien réalisé en mars 2021)

L’Ined a réalisé il y a plusieurs années différentes études sur la population carcérale. Sur quoi portaient ces études ?

Plusieurs générations de chercheurs de l’Ined se sont en effet intéressées à la population carcérale. Jean-Claude Chesnais puis Géraldine Duthé ont conduit des études qui font référence sur le suicide en prison. Avec France Meslé et Annie Kensey (Ministère de la Justice), nous nous sommes intéressées à l’ensemble des causes de décès des personnes sous écrou. Comme pour les suicides, il s’agissait de comparer la mortalité en détention et en population générale et d’identifier les facteurs associés à un risque plus élevé de décéder.

L’Ined, en partenariat avec l’Insee, a par ailleurs joué un rôle pionnier dans la mise en œuvre d’enquêtes statistiques représentatives à l’échelle nationale de la population carcérale. Dans la foulée de l’enquête sur les situations familiales des personnes détenues, l’Ined a cordonné l’enquête sur le handicap et les incapacités en prison (HID-Prisons, 2001).   

Récemment, une enquête sur des détenus auteurs de violences conjugales a été menée. En quoi ont consisté les entretiens réalisés et qu’en est-il ressorti ?

Il est important de noter que cette enquête n’a pas pour point de départ la population carcérale mais les violences de genre. Alors que plusieurs études existent sur les victimes, comme l’enquête Virage menée à l’Ined, les enquêtes qui portent sur les hommes qui exercent de telles violences sont beaucoup moins nombreuses. On sait qu’une faible part des violences conjugales arrivent devant la justice, cette recherche concerne donc plus précisément les hommes condamnés pour violences conjugales. Dans le cas des hommes incarcérés, cela signifie souvent des meurtres et des viols conjugaux, en tous cas des violences physiques graves. Un résultat important est la difficulté pour ces hommes de reconnaître les faits pour lesquels ils ont été condamnés, et partant de donner sens à leur peine. Dans un contexte où la pénalisation des violences de genre est très discutée, cela pose des questions sur les réponses qu’une société peut y apporter, les manières de punir et les limites de l’enfermement. 

Les risques de récidive ont également fait l’objet de recherches à l’Ined. Les détenus qui bénéficient d’aménagements de peine récidivent-ils moins ?

Oui, c’est un résultat qu’avaient déjà montré les travaux d’Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda qui portent sur une cohorte de 8 419 personnes libérées entre juin et décembre 2002. Si la fréquence de la récidive à 5 ans s’élevait en moyenne à 46%, elle était significativement plus élevée chez les personnes ayant exécuté l’intégralité de leur peine en détention (56%) que chez celles ayant bénéficié d’une libération conditionnelle (30%) ou d’un autre aménagement de peine (47%). Mais ce résultat ne prouve pas que les aménagements de peine ont un effet bénéfique « en soi » sur le risque de récidive. Ces mesures sont octroyées de façon préférentielle aux personnes détenues qui ont les meilleures chances de réinsertion (effet de sélection).

En France, ces décisions incombent au juge d’application des peines (JAP). Ces juges ont accès à des informations sur les personnes, notamment en termes de comportement en détention ou de capacités de réinsertion, qui vont bien au-delà des caractéristiques prises en compte habituellement dans les études. Le juge a également une connaissance de l’environnement, plus ou moins propice à la réinsertion, que la personne trouvera à sa sortie. L’originalité de notre travail est d’avoir pris en compte le tribunal de grande instance. Nos résultats confirment l’effet bénéfique des aménagements de peine en termes de risque de récidive. D’un TGI à l’autre, la fréquence des aménagements de peine est en revanche corrélée positivement avec le risque de récidive : plus les mesures sont accordées avec parcimonie, plus les détenus qui en bénéficient sont sélectionnés parmi ceux ayant des risques faibles de récidiver.  

La réalisation d’une enquête sur les sortants de prison est en projet. Quels seraient les champs d’étude concernés ?

L’enquête que nous préparons est une enquête quantitative multithématique sur les personnes détenues à quelques jours de l’échéance de leur incarcération. D’abord menée sur les sortants d’une maison d’arrêt, elle pourrait servir d’expérimentation pour une enquête à l’échelle nationale. La population des sortants de prison est moins bien connue que celle des personnes sous écrou à un moment donné. Malheureusement, une partie des sortants de prison y retourneront. C’est donc la population cible de toute étude qui vise à évaluer les capacités de réinsertion des anciens détenus. Mener une enquête auprès de cette population permet plus largement d’étudier les effets de l’incarcération sur les parcours de vie des personnes qui y séjournent plus ou moins longuement et de recueillir leur expérience des conditions de vie en détention.