Arnaud Bringé, Pascal Chareille et Isabelle Séguy

Dans le cadre d’un partenariat entre Généanet et l’Ined, Arnaud Bringé, Responsable du service des méthodes statistiques de l’Ined, Pascal Chareille, chercheur à l’Université de Tours, et Isabelle Séguy, chercheure Ined, présentent leurs travaux et les objectifs de cette recherche historique.

Comment présenteriez-vous votre métier et les recherches effectuées à l’Ined à quelqu’un qui ne connaît pas ce domaine ?

Comme historien.ne.s-démographes de la longue durée, Isabelle Seguy et Pascal Chareille s’intéressent aux populations du passé sur les deux derniers millénaires, à partir de sources écrites et matérielles (issues des fouilles archéologiques). L’objectif est de mieux comprendre les dynamiques qui les traversent, leurs capacités à faire face aux crises qui les affectent, leurs résiliences aux changements socio-économiques, culturels, climatiques, sanitaires, et (géo)politiques qui animent toutes les sociétés quelles que soient les échelles d’observation.

Comme statisticien, Arnaud Bringé analyse les données recueillies pour en extraire des informations sur les comportements significatifs à l’échelle d’un village et/ou d’une période spécifique. Je propose des outils de visualisation permettant à tous les publics de comprendre ce que révèle l’exploitation d’une grande masse de données.

Pouvez-vous nous présenter les enquêtes de Louis Henry et Jean-Noël Biraben, leur objectif initial, la manière dont elles ont été menées et ce qu’elles nous apprennent ?

À la fin des années 1950, sous l’impulsion de démographes et d’historiens, Louis Henry a cherché à « connaître la population de la France depuis Louis XIV » (jusqu’à la Restauration), principalement à partir des registres paroissiaux. Des études généalogiques venaient d’en signaler l’intérêt pour analyser la composition des familles, l’espérance de vie, les activités professionnelles. Son objectif était de mieux comprendre les ressorts de la dynamique démographique à une époque où la religion pesait sur les comportements de nuptialité et de fécondité.  
Trente ans plus tard, Jean-Noël Biraben a prolongé cette enquête dans le temps, en s’appuyant sur les tout premiers registres paroissiaux, dont les plus anciens remontent à la fin du XVe siècle.
Devant l’ampleur de la documentation potentielle, Louis Henry avait sélectionné un certain nombre de localités, sur la base d’un échantillon raisonné ayant pour objectif une couverture de la population au 1/500e. Un relevé d’informations démographiques anonymes (type d’acte, date, sexe, âge, état matrimonial, profession, origine géographique) a été réalisé. Un sous-échantillon de 40 communes (exclusivement rurales) a été constitué pour mieux cerner les facteurs explicatifs des changements démographiques. Atteindre cet objectif supposait la reconstitution de familles, donc le dépouillement exhaustif des actes et la prise en compte des informations nominatives (nom, prénom, surnom éventuellement).
Les mêmes objectifs ont animé les travaux de Jean-Noël Biraben, mais l’ancienneté des registres mobilisés ne permettait pas la mise en œuvre d’un échantillon raisonné. Ce sont les localités avec les registres les plus anciens et les mieux conservés qui ont été privilégiées pour la période 1500-1700.
Ce travail titanesque de structuration, de collecte et d’analyse n’aurait pas été possible sans l’appui de plusieurs partenaires, sans la mobilisation de nombreux enquêteurs, praticiens de terrain, et sans le concours des démographes-mathématiciens de l’Ined.
Les résultats de ces enquêtes ont conduit à un renouvellement complet de la démographie des populations d’Ancien Régime, et ont fait de Louis Henry l’un des pères fondateurs de la démographie historique qui fut longtemps la discipline phare de l’Ined. Ont ainsi été mis en évidence les variations dans le temps de l’âge au premier mariage, la forte mortalité des jeunes enfants qui limitait la taille des familles, le poids des veuvages et des remariages dans la structuration des familles et de la société, etc.

Vous souhaitez aujourd’hui mener de nouveaux travaux de recherche à partir de ces enquêtes. Quels en sont les objectifs, et que pensez-vous apprendre de nouveau par rapport aux enquêtes initiales ?

Les outils numériques permettent aujourd’hui de reconsidérer cette masse de données, dont certaines sont restées sous-exploitées, voire inexploitées. En effet, les contraintes techniques de l’époque ont conduit à une standardisation phonétique des noms et des prénoms, et donc à une perte d’information, dommageable pour un certain nombre d’études. Nous souhaitons aujourd’hui, en nous appuyant sur un projet d’indexation collaborative :

  1. retrouver l’information la plus complète possible (nom et prénom sans codage, prise en compte des nom, prénom et relations de parenté pour les parrains-marraines et les témoins) ;
  2. étendre spatialement l’échantillon de communes sélectionnées et étudiées par ces deux enquêtes pour considérer l’importance du recrutement hors paroisse des conjoints (seules les familles dont au moins l’un des parents s’est marié et a vécu dans la paroisse ont été prises en compte), examiner les réseaux sociaux et professionnels, notamment dans la perspective d’une étude des mobilités plus fouillée ;
  3. analyser les comportements démographiques des familles dans une perspective transgénérationelle, pour inscrire les dynamiques familiales – ou leurs ruptures – dans la longue durée, au prisme des mutations socio-économiques, cultu(r)elles, politiques, voire environnementales
  4. proposer, grâce à de nouveaux outils de visualisation, une cinématique des comportements démographiques, à l’échelle familiale ou à l’échelle villageoise. 
  • Extrait d’un relevé nominatif réalisé sur la commune d’Échevronne (Côte-d’Or).

En savoir plus