Comment connait-on les causes de décès en France ?
Les causes de décès en France sont indiquées sur le certificat médical de décès. C’est à partir de ce document que l’Inserm établit une base de données utilisée par les chercheurs. Pourtant, les causes de décès ne sont pas toujours connues. Comme l’explique Aline Désesquelles, chercheure à l’Ined, un décès sur dix est de cause inconnue ou mal-définie. Explications.
Le 24 octobre 2025, l’Ined a fêté ses 80 ans. Depuis sa création, l’institut analyse les dynamiques de population en France et dans le monde pour comprendre les évolutions démographiques et sociétales de demain.
(Interview réalisé en juin 2025)
Comment les démographes peuvent-ils étudier les causes de décès d’une population ?
L’analyse statistique des causes de décès d’une population repose sur les informations mentionnées sur le certificat médical de décès dont le remplissage est obligatoire dès lors que le médecin constate le décès d’une personne. Avant traitement par les chercheurs, ces informations font d’abord l’objet d’une codification par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm, qui procède également, selon les règles fixées au niveau international par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à la détermination de la cause initiale du décès. La cause initiale du décès est la cause considérée comme étant à l’origine du processus ayant conduit au décès. Plusieurs autres causes peuvent être mentionnées sur le certificat : les conséquences ou les complications de la cause initiale, des facteurs de risque pour celle-ci (par exemple, la consommation de tabac pour le cancer du poumon) ou encore des causes qui aggravent l’état général de la personne, par exemple des maladies chroniques, une situation d’obésité ou encore des troubles cognitifs. En moyenne, en France, on compte 3,5 causes par certificat de décès.
Connaît-on toujours les causes d’un décès ?
Non, on ne la connait pas toujours. Mais il faut ici distinguer ce que le médecin sait et ce que le démographe ou le statisticien savent. Sur la base des données produites par l’Inserm, il apparait qu’un décès sur dix est de cause inconnue ou mal-définie. Mais une partie de ces décès corresponde à des cas où le médecin connaissait la ou les causes du décès mais n’a pas correctement rempli le certificat. Il se peut aussi que le certificat ne soit pas parvenu à l’Inserm : ceci est notamment susceptible de se produire lorsque le décès est suspect et que des expertises complémentaires (autopsie, analyses anatomopathologiques) sont effectuées après l’établissement du certificat. De fait, la part des décès de cause mal-définie est à son maximum entre 25 et 34 ans (18%), âges auxquels les morts dites violentes (suicides et accidents en particulier) ne sont pas rares. Elle atteint de nouveau ce niveau à 95 ans ou plus et dans ce cas, la difficulté pour les médecins à identifier la cause du décès est sans doute fréquente. Les expressions courantes « mourir de sa belle mort » ou « mourir de vieillesse » illustrent assez bien ce cas de figure.
Comment les étudie-t-on et quelles informations nous apprennent-elles ?
L’Ined a une expertise ancienne et internationalement reconnue dans le domaine de l’analyse des causes de décès. Les indicateurs utilisés sont assez classiques mais l’analyse de séries temporelles longues, très utile pour comprendre l’évolution de la mortalité toutes causes confondues et donc de l’espérance de vie, pose des problèmes particuliers. Depuis une quinzaine d’années, l’analyse s’est par ailleurs enrichie de l’étude des causes multiples de décès, c’est à dire l’ensemble des causes mentionnées sur les certificats de décès, et plus uniquement la cause initiale du décès. Ceci fait particulièrement sens dans un contexte de baisse de la mortalité, où les décès surviennent à des âges de plus en plus élevés que les personnes atteignent en ayant souvent plusieurs maladies. On s’intéresse ainsi aujourd’hui à la multi-morbidité au moment du décès. Son augmentation peut révéler une augmentation de la multi-morbidité dans la population, une meilleure survie des personnes atteintes de maladies chroniques, ou encore une plus grande vulnérabilité de ces personnes à la survenue de certains événements. L’histoire récente, avec la canicule de 2003 et la pandémie de COVID-19, le montre bien.
In fine, ces études éclairent la situation sanitaire d’un pays. Des comparaisons internationales sont très souvent mises en œuvre pour repérer les convergences et les divergences. Les différences au niveau infranational ou entre les hommes et les femmes sont aussi examinées. Enfin, on peut maintenant utiliser ces données pour affiner l’analyse des inégalités sociales de mortalité.
Que peut-on dire aujourd’hui de l’évolution des causes de décès en France ?
En France comme ailleurs, la baisse de la mortalité par maladie cardiovasculaire a été le principal moteur de la baisse de la mortalité depuis les années 1970. La France se distingue tout particulièrement de ses voisins européens par une mortalité cardiovasculaire faible. Ceci explique que les maladies cardiovasculaires se classent désormais au deuxième rang des causes de décès derrière les cancers. Globalement, la mortalité par cancer diminue en France mais le cancer du poumon pour les femmes, dont le taux comparatif de mortalité a triplé en France depuis 1980, est une exception notable. En 2022, la mortalité par maladies respiratoires et par maladies du système nerveux (groupe qui comprend la maladie d’Alzheimer) reviennent à des niveaux proches de ceux d’avant la pandémie de Covid-19. La répartition des causes des décès est bien sûr très différente selon le groupe d’âge. Ainsi, les suicides et les accidents sont fortement surreprésentés dans les groupes d’âges jeunes.
Sources :
Breton, D., Belliot, N., Barbieri, M., Chaput, J., & D’albis, H. (2024). L’évolution démographique récente de la France: une position singulière dans l’Union européenne. Population (édition française, 79(4)
Fouillet, A., Cadillac, M., Coudin, É., & Riviera, C. (2024). Grandes causes de mortalité en France en 2022 et tendance récentes. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire,18
Grippo F., Frova L., Pappagallo,M., Barbieri,M., Trias-Llimós S., Egidi V., Meslé F. & Désesquelles A. (2024). Beyond the underlying cause of death: an algorithm to study multi-morbidity at death. Population Health Metrics, 22(1), 36