Etudes et carrières : les inégalités de genre perdurent
Si les femmes sont davantage diplômées que les hommes en formation initiale, elles restent sous représentées dans les filières scientifiques et sélectives types classes préparatoires. Ces inégalités, dès le choix de l’orientation, sont en partie liées à l’anticipation de la vie familiale par les femmes.
(Interview réalisé en août 2025 avec Delphine Remillon, chercheure à l’Ined)
Quelles inégalités de genre observe-t-on dans l’enseignement supérieur ? Quelles filières sont concernées ?
Si les femmes sont désormais davantage diplômées que les hommes en formation initiale, on observe néanmoins des différences genrées importantes dans l’enseignement supérieur, et ce à toutes les étapes de l’orientation. La ségrégation éducative a globalement reculé mais les femmes restent sous-représentées dans certaines filières, notamment les plus sélectives et la plupart des filières scientifiques (hors médecine) : elles représentent 30 % des effectifs en 2023 dans les formations d’ingénieurs mais 67 % dans celles en santé. Ces différences d’orientation s’inscrivent en partie dans la continuité de choix de spécialités différenciés au lycée, les garçons optant plus souvent pour des spécialités scientifiques, mais elles s’observent également à choix de spécialités similaires. Les vœux des filles dans Parcoursup concernent aussi plus souvent des licences à l’université et moins souvent des filières sélectives comme les classes préparatoires (CPGE) ou les IUT, deux filières où elles restent minoritaires (40 %).
Et qu’en est-il de la formation continue ?
Les femmes ont tendance à davantage se former que les hommes en formation continue, avec un nombre de formations suivies supérieur et des durées plus longues. Mais dans un travail sur les données du panel DEFIS du Céreq avec Guillemette de Larquier, nous avons montré que, là encore, femmes et hommes n’accèdent pas au même type ni aux mêmes conditions de formation : les femmes se forment davantage sur leur temps libre et à leur frais ; et elles déclarent moins souvent que la formation suivie leur sera utile pour exercer un nouveau métier ou pour évoluer hiérarchiquement.
Quel rôle les projections en matière de conciliation vie familiale-vie professionnelle jouent-elles dans les trajectoires des étudiants ?
Un résultat bien établi de la littérature sur les inégalités de genre sur le marché du travail est que l’articulation avec la vie familiale pénalise la carrière des mères, et non celle des pères. C’est notamment le cas au moment des naissances, ce qu’on appelle la Child penalty. Dans le cadre de la formation professionnelle continue, nous avons également constaté que les naissances ralentissaient l’accès à la formation des mères, mais pas celui des pères.
Les étudiantes et les étudiants en formation initiale sont peu nombreux à avoir des enfants étant données les tendances démographiques actuelles : l’âge moyen à la naissance est de 30,9 ans en France en 2023 et il est croissant avec le niveau de diplôme, et l’âge moyen des mères à la première naissance est de 29,1 ans. Les personnes en études sont donc en moyenne peu concernées par les questions de conciliation entre études et enfants. Cependant, il est probable que cette anticipation des questions de conciliation futures joue déjà sur leurs choix d’orientation, scolaires et professionnelles, et ce de façon différenciée entre femmes et hommes. Des recherches ont en effet montré que les filles intégraient très tôt dans leurs projets professionnels les arbitrages à venir en matière d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et réalisaient leurs choix d’orientation en conséquence, qualifiés de « choix de compromis ». Par ailleurs, il semble que les étudiantes et les étudiants aient un vécu différent des études supérieures. Cette période de la vie amène à devoir concilier des temporalités variées : cours, travail personnel, éventuel travail salarié, temps avec sa famille, les amis, loisirs, activités associatives, civiques, bénévoles, voire aidance d’un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie … La question de l’articulation entre ces différents temps sociaux pendant les études est pourtant peu abordée par les recherches, et encore moins souvent dans une perspective de genre. C’est ce que nous cherchons à étudier actuellement avec mon collègue Vincent Lignon, en mobilisant les données de l’enquête FamEmp (Ined, 2024) : cette enquête permet de disposer d’un échantillon conséquent de jeunes pour étudier leurs pratiques et vécus de l’articulation des temps sociaux selon le sexe, et les liens avec des projections différenciées en matière familiale et professionnelle.
Sources :
Beaupère N., Érard C. et Jaoul-Grammare M., "Introduction. Les femmes dans l’enseignement supérieur, des possibles sous conditions", Formation emploi, 167 | 2024, 7-13
MalfattoS. , Moiteaux B., Yildiz H., "15. La parité dans l’enseignement supérieur", in état de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France n°18
Gautier-Touzo M., Brouillaud A., Burricand C., Dauphin L., Monso O., 2024, "Les différences d’orientation entre les filles et les garçons à l’entrée de l’enseignement supérieur", Note d’Information, n° 24.20, DEPP
Larquier, Guillemette de, et Remillon D. "Formation professionnelle et différences de carrières entre femmes et hommes". Trajectoires et carrières contemporaines : nouvelles perspectives méthodologiques, édité par Isabelle Borras et al., Céreq, 2022
Breton, D., Belliot, N., Barbieri, M., Chaput, J. et D’Albis, H. (2024). L’évolution démographique récente de la France : Une position singulière dans l’Union européenne. Population, 79(4), 427-505
Remillon D., "Postface", Formation emploi, 167 | 2024, 169-176
Duru-Bellat M. (2004), L’École des filles : quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Paris, L’Harmattan
Dumas A., Lignon V. (2024), "Vivre et réussir sa première année dans le supérieur. Des différences marquées selon le sexe", Éducation & formations, 106, DEPP, SIES, pp. 53-80
Fontaine, R., Pailhé, A. et Remillon, D. (2023). L’enquête longitudinale Familles et employeurs (FamEmp) Mesurer les nouveaux enjeux relatifs à l’articulation vie familiale-vie professionnelle et au rôle des entreprises. Revue des politiques sociales et familiales, 149(4), 139-147