Éva Lelièvre, Célio Sierra-Paycha, Loïc Trabut
Quel est le parcours scolaire des élèves de terminale en Polynésie française ? Pourquoi un tiers des lycéens ne vivent plus chez leurs parents ? Quels sont leurs projets professionnels ? Éva Lelièvre, Célio Sierra-Paycha, et Loïc Trabut, chercheurs à l’Ined, ont conduit une enquête statistique sur le système éducatif polynésien et le profil des jeunes bacheliers.
(Entretien réalisé en avril 2025)
En quoi a consisté l’enquête que vous avez conduite en 2023 auprès des élèves de terminale des établissements de Polynésie française ?
En avril 2023, l’ISPF (Institut de la statistique de la Polynésie française) et l’Ined, à la demande de la Direction Générale de l’Education et des Enseignements, ont conduit une enquête statistique dans l’ensemble des établissements de Polynésie française auprès des élèves de terminale. Il s’agissait d’interroger leurs conditions de vie, leurs activités, leur orientation et leurs souhaits professionnels et migratoires pour les cinq années à venir. La méthodologie d’enquête retenue s’est portée sur un questionnaire anonyme, auto-administré par voie électronique au sein des établissements.
Comment le système éducatif polynésien fonctionne-t-il ?
En ce qui concerne l’éducation, la Polynésie française (COM) bénéficie d’un très large champ de compétences : l’État est le principal contributeur pour les dépenses éducatives, tandis que le Pays (via le Ministère et la DGEE) « possède la double compétence de la stratégie et politique éducative ainsi que sa mise en œuvre par l’organisation des enseignements et la répartition des moyens enseignants ». Le système éducatif polynésien s’inspire très fortement du système éducatif français métropolitain, les diplômes préparés sont quasi exclusivement des diplômes nationaux français. L’enseignement primaire est disponible localement dans les îles habitées. L’implantation de collèges dans les archipels éloignés date des années 80-90. Ce n’est en 1992 que l’obligation de scolarité est portée jusqu’à 16 ans, cependant avec la massification scolaire, le niveau scolaire sur le territoire s’est accru depuis les années 80. Ainsi, en se référant à la promotion des collégiens enquêtés es dans l’enquête le collège et moi (Ispf- Ined) en mai 2019 (Lelièvre & Jedlicki, 2000), un peu plus des trois quarts des élèves de troisième a poursuivi sa scolarité jusqu’en terminale.
Comment les établissements se répartissent-ils géographiquement ?
Établissements publics comme privés, enseignement général, technologique ou professionnel, l’offre scolaire en terminale se concentre dans les îles de la Société : 15 établissements sur 20 à Tahiti et Moorea, trois sont à Raiatea et un à Bora-Bora. Le Lycée agricole Saint-Athanase à Nuku Hiva aux Marquises faisant figure d’exception.
Du fait de la concentration des lycées dans les îles de la Société (1), l’ensemble des trajectoires des lycéens y convergent. Comme collégiens, les élèves originaires des archipels éloignés avaient déjà été amenés à se déplacer pour poursuivre leur scolarité, mais le plus souvent au sein de leur propre archipel, la répartition des collèges le permettant. Si 93% des élèves originaires de la Société y ont poursuivi toute leur scolarité, environ la moitié des autres quittent leur archipel pour entrer au lycée ; leurs environnement et conditions de vie ont changé drastiquement à l’entrée au lycée.
Quels sont les profils des élèves de terminale ?
Les élèves de terminale sont plus souvent des filles que des garçons (45 %) et on les trouve en plus grande proportion dans les filières générales ; les garçons se trouvant plus fréquemment dans les filières professionnelles (bâtiment, cuisine, par exemple).
La majorité des lycéens et lycéennes en classe de terminale (67%) vivent avec leurs parents (de naissance ou fa’a’amu, c’est-à-dire dans le cas de l’adoption coutumière) tandis qu’un tiers vit dans des contextes différents : accueillis par des membres de leur famille ou par des amis (10%), en foyer ou en internat (12%), ou encore dans un autre cadre voire en alternance dans plusieurs lieux de résidence (10%), sans résidence stable.
Plus d’un quart (28%) des élèves de terminale déclarent exercer une activité rémunérée et 35% d’entre eux considèrent qu’elle leur prend beaucoup de temps.
Les élèves de terminale sont à 39% boursiers. Ce sont les élèves de la filière professionnelle qui bénéficient le plus souvent d’une bourse, 62% durant leur scolarité et 56% en classe de terminale.
Quels sont les projets des élèves de terminale ?
Une grande partie du questionnaire est consacré aux projets des élèves de terminale.
Si les données SISE (MESR-SIES) permettent de saisir les profils des étudiants polynésiens inscrits dans l’enseignement supérieur français, qu’ils poursuivent leurs études en Polynésie, dans l’Hexagone ou même dans d’autres territoires ultramarins français (Cordazzo, Monicole, 2020 ; Bréant, 2022), un des objectifs de l’enquête était de saisir leurs aspirations à court et moyen terme, au moment où les étudiantes et étudiants ont formulé des vœux d’orientation (notamment sur Parcoursup).
Ce sont ces résultats que l’équipe a choisi de rendre largement disponibles via un dispositif Shiny qui permet une exploration des aspirations des élèves de la promotion 2024, en termes d’entrée dans la vie active, de poursuite de leur formation, de mobilité au sein du territoire et au-delà.
(1) Les îles de la Société sont un archipel regroupant 14 îles dont les plus connues sont Tahiti et Bora-Bora.
Sources : Bréant, H. (2022) « Devenir étudiant·e dans un territoire d’outre-mer : les mécanismes de la démocratisation ségrégative de l’enseignement supérieur en Polynésie française ». Lien social et Politiques no. 89 (2022) : 150–177
Cordazzo P. Monicole C. (2020) « Bacheliers polynésiens et études supérieures ». In : Points études et bilans de la Polynésie française [en ligne]. n° 1219, p. 1 4
Lelievre Eva et Bamet Thomas (2025) « Être élève de terminale en 2023 en Polynésie française », Points Études et Bilans de la Polynésie française. 1464
Lelievre Eva et équipe ATOLLs (Collab.), 2025, « Être élève de Terminale en Polynésie française Une enquête (Le Lycée et après (Ined, ISPF, DGEE, 2023) et quelques premiers résultats ». Documents de travail, 302, Aubervilliers : Ined
Lelièvre Eva et Jedlicki Fanny (2020) « Être élève de 3e en Polynésie française ». Points Études et Bilans de la Polynésie française. 1220
Lelièvre Eva et Jedlicki Fanny, équipe ATOLLS, 2020, « Être collégien en classe de troisième en Polynésie française : des scolarités au gré de la mobilité », Documents de travail, 258, 14 p., Paris, France, Ined