Gilles Pison

nous parle du programme MADAS.

cc Ined-Colette Confortès

Directeur de recherche à l’Ined et rédacteur en chef du bulletin Population et Sociétés.
Gilles Pison coordonne le programme MADAS qui porte sur l’évaluation des données recueillies par les enquêtes et les recensements pour estimer la mortalité des adultes en Afrique sub-saharienne.

 (Entretien réalisé en octobre 2015)

 

 

 

Que sait-on de l’évolution de la mortalité en Afrique sub-saharienne?

En Afrique, la mesure des niveaux et tendances démographiques ne peut s’appuyer comme dans les pays développés sur l’état civil car celui-ci est incomplet – les naissances et les décès ne sont pas tous déclarés. Les indicateurs démographiques sont estimés à partir des recensements et des enquêtes nationales. Mais les informations qu’ils fournissent sont-elles fiables ?

Il conviendrait de tirer les leçons de l’expérience des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Le cinquième OMD visait à réduire la mortalité maternelle de trois quarts entre 1990 et 2015. L’objectif était certes louable, mais pour beaucoup de pays, notamment ceux où la mortalité maternelle est la plus élevée, on est dans l’incapacité aujourd’hui de savoir si l’objectif a ou non été atteint, en raison des difficultés de mesure de la mortalité maternelle faute de données suffisamment fiables.

Depuis 4 ans l’Ined mène un programme de recherche au Sénégal en collaboration avec l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal (ANSD) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) pour évaluer la qualité des recensements et des enquêtes nationales dans ce pays. Ce programme, MADAS, a été financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Quelles méthodes de recherche ont été utilisées dans le programme MADAS ?

MADAS a tiré parti de l’existence au Sénégal de trois observatoires de population et de santé dans les sites ruraux de Bandafassi, Mlomp et Niakhar. La population de chaque site a fait l’objet d’un recensement initial il y a plusieurs dizaines d’années et a été suivie ensuite par enquête à passages répétés jusqu’à aujourd’hui. À chaque passage, les enquêteurs visitent chaque ménage, vérifient la liste des membres présents à la visite précédente, et recueillent des informations sur les naissances, décès, mariages et migrations survenus depuis.

En raison de la longue durée du suivi et du soin mis à la collecte, ces observatoires fournissent des informations de qualité sur chaque personne – sa date de naissance, ses unions, ses naissances, ses migrations. Le principe de l’étude est d’apparier pour chaque site les informations recueillies par un recensement ou une enquête avec celles recueillies par l’observatoire. Leur comparaison pour un ménage ou un individu particulier permet de repérer les différences et d’étudier les erreurs et biais affectant par exemple les déclarations d’âge dans un recensement, les déclarations sur la survie du père et de la mère de chaque personne – une information qui peut servir à estimer la mortalité à l’âge adulte, etc.

Et qu’avez-vous constaté comme erreurs ou biais ?

Les enquêtes démographiques par sondage recueillent souvent des informations sur la survie des frères et sœurs. On demande à chaque personne enquêtée de donner la liste de ses frères et sœurs, et pour chacun, son âge, ou, s’il est mort, son âge au décès, et l’année de son décès. Ces informations sont les principales utilisées aujourd’hui pour estimer la mortalité adulte. Si l’enquêté déclare que sa sœur est morte alors qu’elle était d’âge fertile (entre 15 et 49 ans), l’enquêteur demande en plus si le décès a eu lieu alors qu’elle était enceinte, ou pendant un accouchement, ou dans les 42 jours ayant suivi un accouchement. Ce type d’information est utilisé pour estimer la mortalité maternelle.

Nous avons pu confronter les déclarations sur les frères et sœurs avec la réalité telle que connue d’après les observatoires. À Bandafassi, les femmes que nous avons interrogées ont omis de déclarer 9 % de leurs sœurs décédées adultes, sans compter de très nombreux frères et sœurs omis parmi ceux morts en bas âge. Les membres de la fratrie sont moins souvent oubliés lorsqu’ils ont le même père que la femme interrogée, ou lorsqu’un décès est récent. Inversement, les femmes qui ont émigré hors de leur village d’origine commettent plus d’erreurs. On constate aussi un autre type d’imprécision : les femmes interrogées ont tendance à sous-estimer l’âge de leurs sœurs ainées.

Un nouveau questionnaire sur les frères et sœurs comprenant notamment des relances pour réduire les omissions, et un calendrier biographique, pour améliorer les déclarations des dates et des âges, a aussi été testé à Niakhar. Les sœurs décédées à un âge adulte sont moins souvent omises (90 % des sœurs de ce type sont déclarées avec ce nouveau questionnaire, contre seulement 76 % avec le questionnaire habituel).