Laurent Toulemon

Les études autour de la famille, qu’il s’agisse des tendances de la fécondité, des inégalités femmes-hommes en termes de conciliation vie personnelle-vie professionnelle ou encore du niveau de vie des familles monoparentales, font partie des sujets de recherche de l’Ined.
Le 24 octobre 2025, l’institut fêtera ses 80 ans. Depuis sa création, il analyse les dynamiques de population en France et dans le monde pour comprendre les évolutions démographiques et sociétales de demain. Laurent Toulemon, chercheur à l’Ined, a répondu à nos questions sur les politiques familiales.
(Entretien réalisé en mai 2025)
Comment étudier les politiques familiales ? Que recouvre ce terme ?
Gérées par la Caisse nationale des allocations familiales, les politiques familiales constituent en France l’une des branches de la Sécurité sociale. Pour les étudier, il faut voir de quelle manière elles s’intègrent dans les politiques sociales ; la politique d’éducation, par exemple, avec une école gratuite, obligatoire dès 3 ans et accueillant les enfants depuis tôt le matin jusque tard dans l’après-midi, peut être vue comme permettant aux deux parents de travailler. A l’inverse, dans d’autres pays où l’on considère que les journées d’école doivent être plus courtes pour les enfants, l’impact ne sera pas le même sur l’emploi. La politique en matière de logement doit également être prise en considération pour observer, notamment, si le nombre d’enfants compte parmi l’un des critères d’attribution des logement sociaux. En France, on s’adresse aux familles, en ouvrant droit à des prestations conditionnées par les revenus, tandis que, dans certains pays, comme en Suède, les politiques familiales mettent l’enfant au centre, indifféremment des revenus des parents.
Les objectifs des études de ces politiques ont-ils évolué au fil des décennies en France ?
Les politiques familiales ont évolué au fil des décennies. À l’objectif pronataliste au cœur des politiques en France depuis un siècle, a succédé, dans les années 1990, alors que la fécondité était assez élevée en France par rapport aux autres pays européens, un objectif de lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont mis l’accent sur la (re)mise en emploi des femmes afin d’élever le niveau de vie des familles et l’indépendance financière des femmes. Une autre priorité a été mise en avant : la lutte contre la pauvreté des familles avec enfants, notamment du fait des séparations.
Compenser les charges de famille pour tous les parents, aider davantage les familles vulnérables (à faibles revenus, monoparentales…), favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (en proposant des modes de garde compatibles avec la réalisation des carrières féminines et en introduisant des normes sociales impliquant les hommes dans la participation à la vie familiale, tel que l’allongement de la durée du congé de paternité), ainsi que garantir la viabilité financière du système figurent parmi les objectifs énoncés dans la loi du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale. Depuis 2015, on assiste toutefois à une baisse de la fécondité, ce qui engendre de nouvelles inquiétudes et a fait réapparaître l’objectif pronataliste.
Comment ces politiques familiales peuvent-elles être comparées à d’autres pays et quels critères choisir pour conduire des études comparatives ?
Les comparaisons entre pays sont difficiles, car les différences réglementaires entre pays sont nombreuses : certains ne fonctionnent, par exemple, ni avec un quotient familial, ni avec un quotient conjugal, à la différence de la France. En Suède, une imposition individuelle visant à favoriser le travail des femmes est venue remplacer l’imposition qui s’appliquait aux couples et, dans ce même but, les pensions de réversion ont été suspendues, tandis qu’en France, le système s’appuie sur une mise en commun des ressources. Les politiques familiales occupent une place importante en France où l’Etat continue d’être perçu comme garant du soutien des familles, alors que, dans les pays d’Europe du Sud, les familles doivent davantage compter sur les solidarités privées.
Autant d’éléments qui doivent être pris en compte pour mettre en place des études comparatives. Si l’on considère plus particulièrement la problématique de conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, la France se rapproche cependant plutôt des pays d’Europe du Nord.