Lawrence Berger

professeur à l’université du Wisconsin-Madison aux États-Unis et accueilli à l’Ined pour un séjour d’un an, a répondu à nos questions.

(Entretien réalisé en novembre 2019)

Sur quel(s) sujet(s) travaillez-vous à l’Institut de recherche sur la pauvreté du Wisconsin (Madison) ?

Dans l’ensemble, mes travaux de recherche ont surtout trait à la manière dont les circonstances et les ressources familiales influent sur le fonctionnement des familles et le bien-être des enfants, ainsi qu’à l’incidence des politiques publiques sur tous ces facteurs. Je participe actuellement à des projets de recherche aux États-Unis concernant la complexité et la fluidité familiales, les politiques d’aide à l’enfance, l’endettement des ménages, l’épidémie liée aux opioïdes, le placement familial et le « vieillissement » du système de placement. Je collabore également à l’évaluation de deux expériences qui sont menées à grande échelle sur des échantillons aléatoires et s’inscrivent dans le cadre de programmes pilotes destinés à lutter contre la maltraitance des enfants, avec la participation des services connexes de protection de l’enfance. L’une de ces expériences se concentre exclusivement sur la mise en relation des familles défavorisées à risque élevé de maltraitance avec les aides économiques existantes, l’objectif étant de mieux comprendre le rôle potentiel des ressources économiques comme facteur de maltraitance.  

Sur quels projets travaillerez-vous pendant votre année en France, à l’Ined ? Ces projets sont-ils directement liés à vos recherches aux États-Unis ?

Pendant cette année de résidence à l’Ined, je collabore avec Lidia Panico et Anne Solaz à deux études utilisant les données Elfe. La première applique une méthode quasi-expérimentale pour examiner les effets comparatifs de la fréquentation d’une crèche et de divers autres modes de garde (dont la garde parentale) sur les compétences en lecture et écriture, la motricité et le comportement des enfants de deux ans, en tenant compte des différences d’effets potentielles selon que les enfants naissent dans des familles plus ou moins favorisées. La deuxième étude décrit la complexité et la fluidité des compositions familiales et des modes de vie en suivant les enfants de la naissance jusqu’à l’âge de cinq ans environ et en étudiant les associations entre ces paramètres et le développement infantile. Ces deux études sont en cohérence avec le type de recherches que je conduis aux États-Unis. Ainsi, bien que je ne sois pas spécialement axé sur la politique d’accueil des enfants dans le contexte américain, je me suis servi de méthodes presque expérimentales pour examiner l’influence de diverses autres politiques sociales sur le fonctionnement familial et le développement des enfants. Je me suis également lancé dans une série d’études sur la complexité et la fluidité des cadres familiaux et leurs liens avec le développement des enfants aux États-Unis. Étonnamment, alors que les publications sur ces deux sujets sont très abondantes aux États-Unis et dans d’autres pays anglophones, très peu de chercheurs français s’y sont intéressés. La cohorte Elfe constitue un outil crucial pour la réalisation d’études dans ce domaine.

Quelle est votre perception du système de recherche français ? En quoi les systèmes français et américain diffèrent-ils ?

J’ai effectué des séjours ponctuels à l’Ined au cours des huit dernières années et j’ai été fasciné par l’environnement intellectuel, la rigueur de la recherche et la collégialité que j’y ai rencontrés. Les collaborations directes avec des chercheurs de l’Ined et les avis et réactions reçus de mes collègues de l’Ined sur mon travail ont eu des effets extrêmement bénéfiques sur mes recherches ; j’espère leur avoir également été utile et avoir contribué au climat d’ouverture et à l’ambiance animée et intellectuellement stimulante qui caractérisent l’Institut. J’ai eu aussi le plaisir de recevoir des chercheurs de l’Ined dans mon établissement d’origine, l’université du Wisconsin, à Madison, et j’aurai à cœur de développer les interactions entre nos deux institutions dans les prochaines années, comme le prévoit le protocole d’accord que nous venons de signer pour encourager les collaborations et les résidences proposées de part et d’autre aux doctorants, aux post-doctorants, aux chercheurs et aux enseignants. Plus généralement, j’ai été très impressionné par le système de recherche français, et en particulier par l’éventail et la qualité des études réalisées par les instituts de recherche non universitaires comme l’Ined et par le soutien que l’État leur fournit, un soutien crucial pour mener à bien des travaux rigoureux venant à l’appui des politiques publiques. Pour moi, la différence la plus notable entre le système français et son homologue américain est la diversité des thèmes et des études abordés dans ces instituts français. Il me semble que les instituts similaires aux États-Unis tendent à se concentrer sur un éventail plus restreint de sujets de recherche, souvent traités à la demande d’une administration gouvernementale particulière, les questions de portée plus vaste ou générale étant plus susceptibles d’être étudiées dans un cadre universitaire.