Marwân-al-Qays Bousmah
Marwân-al-Qays Bousmah, chercheur à l’Ined, travaille sur la santé des livreurs des plateformes numériques de livraison de repas en France. Il a répondu à nos questions.
(Entretien mené en mars 2025)
Comment effectuez-vous vos recherches sur la santé des livreurs des plateformes numériques de livraison de repas en France ? Conduisez-vous une enquête ?
Les livreurs des plateformes sont particulièrement exposés aux risques socio-organisationnels. C’est le cas en France et partout où se développe le travail dit « plateformisé ». Ce phénomène est d’autant plus alarmant que les plateformes se reposent sur une force de travail de travail de plus en plus précarisée, notamment les immigrés sans titre de séjour, et que les livreurs, autoentrepreneurs ou « louant » le compte d’une tierce personne, ont une plus faible protection sociale effective.
Il y a donc un enjeu majeur à étudier les déterminants sociaux de la santé et notamment les effets des conditions de travail sur la santé des livreurs. Et il y a un intérêt à mieux connaître le groupe social émergent des travailleurs dits « ubérisés » dans un monde où le travail de plateforme gagne de plus en plus de secteurs d’activité.
C’est l’objectif du projet SANTE-COURSE : une recherche participative menée conjointement, à toutes les étapes du projet, par une équipe interdisciplinaire de chercheur·es en sciences sociales et sciences pour la santé (Ined, IRD), les coordinateur·ices d’associations proposant aux livreurs des plateformes un accompagnement médico-social, administratif et juridique (Maison des Coursiers de Paris, Maison des Livreurs de Bordeaux, Médecins du Monde), ainsi qu’un groupe de pairs constitué de livreurs et d’anciens livreurs. Je coordonne ce projet avec Annabel Desgrées du Loû (IRD), Flore Gubert (IRD) et Circé Lienart (Maison des Coursiers). Il est financé par l’Institut Convergences Migrations, l’ANR, l’Inserm et l’institut Paris Public Health.
Le projet s’articule autour de trois volets complémentaires : une étude qualitative à partir d’entretiens semi-directifs auprès de livreurs et d’une observation non participante, une enquête quantitative pour laquelle nous ciblons un échantillon compris entre 1000 et 1500 livreurs, ainsi qu’un volet, pas encore financé, visant à mesurer l’exposition des livreurs à la pollution de l’air à l’aide de micro-capteurs embarqués, notamment pour étudier les disparités d’exposition selon les conditions de travail.
Comment entrez-vous en contact avec les livreurs : y a-t-il un appel à répondants ?
Les défis du recrutement des participants dans l’étude sont considérables. Il n’y a pas de base de sondage et les livreurs représentent un groupe hétérogène, géographiquement éclaté et en mouvement, dont une part importante utilise le compte d’une tierce personne pour pourvoir exercer.
Bien que son intérêt aille bien au-delà des enjeux de recrutement, l’approche participative nous permet d’être plus pertinents sur nos questions de recherche, notre questionnaire, notre méthodologie d’enquête et notre travail sur le terrain, tout en instaurant une relation de confiance avec les personnes directement concernées par l’étude. Ce travail collectif nous a guidé vers l’adoption d’un échantillonnage lieux-moments : les participants sont recrutés dans l’espace public, directement sur les lieux d’attentes des commandes à Paris et dans la Métropole de Bordeaux. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur un travail de cartographie des lieux d’attente dans les deux territoires, ainsi que sur des études en géographie sociale mettant en lumière les logiques d’ancrage territorial propres au travail de livraison pour les plateformes.
Quels sont les enjeux de santé associés à la situation des livreurs de repas ?
Les consultations médico-sociales réalisées par notre partenaire Médecins du Monde à Bordeaux dans le cadre du programme « travailleur·euses précarisé·es » suggèrent une forte prévalence de troubles musculosquelettiques, psychiques, respiratoires ou encore uro-génitaux. On retrouve aussi la question centrale de l’accès aux droits et aux soins : un manque de prévention, un non-recours aux soins alarmant et pas d’accès à la médecine du travail.
Si certaines études qualitatives récentes analysent les conséquences du travail de plateforme sur la santé – notamment en sociologie de la santé et en psychodynamique du travail – il n’y a encore, à notre connaissance, aucune étude quantitative en France sur la question et très peu au niveau mondial.