@@src2@@

La France, toujours une exception démographique en Europe ?

Population et Sociétés

620, mars 2024

https://doi.org/10.3917/popsoc.620.0001

La France, toujours une exception démographique en Europe ?
Anne Solaz

Institut national d’études démographiques (Ined)
Laurent Toulemon

Institut national d’études démographiques (Ined
Gilles Pison

Muséum national d’histoire naturelle

Institut national d’études démographiques (Ined)

En 2023, la fécondité a fortement baissé par rapport à 2022. Il en va de même de la mortalité, après trois années de forte hausse, tandis que le solde migratoire se maintient à un niveau haut. La France est en 2022 le pays de l’Union européenne avec la fécondité la plus élevée, et le reste probablement en 2023. Les évolutions futures sont incertaines, mais le solde migratoire élevé ferait plus que compenser la moindre fécondité si les deux se maintiennent au niveau de 2023 : à l’horizon 2070, la population continuerait de croître.

naissances, décès, fécondité, espérance de vie, mortalité, solde naturel, solde migratoire, projections de population, France, Europe

Table of contents

      1.

      La baisse de la fécondité entamée en 2010 se poursuit en France. Qu’en est-il dans les pays voisins ? Les auteurs replacent cette diminution dans le contexte européen de la dernière décennie et examinent à l’aide de projections si les évolutions démographiques de 2023 pourraient annoncer une décroissance de la population à terme.

      Au 1er janvier 2024, la France compte 68,4 millions d’habitants, soit 0,3 % de plus qu’un an auparavant (tableau et figure 2). Le nombre de naissances a diminué fortement en 2023 par rapport à 2022, 678 000 contre 726 000, soit 52 000 naissances de moins (−7 %). Le nombre de décès a aussi diminué entre 2022 et 2023, de presque autant que les naissances, passant de 675 000 à 631 000 (−7 %)(1).

      La baisse du nombre de décès vient de la forte hausse de l’espérance de vie à la naissance entre 2022 et 2023, qui atteint 80,0 ans pour les hommes et 85,7 ans pour les femmes en 2023. Avec un gain de 0,7 an pour les hommes et 0,6 an pour les femmes, l’espérance de vie fait plus que rattraper son niveau de 2019 et retrouve sa tendance à la hausse observée avant l’épidémie de Covid-19. Elle avait en effet reculé en 2020, puis stagné ou augmenté faiblement en 2021 et 2022 en raison de la poursuite de l’épidémie conjuguée à des épidémies de grippe saisonnière meurtrières et plusieurs canicules.

      Contrairement à celui de la plupart des autres pays européens où il est négatif (21 pays sur les 27 de l’UE) [1], le solde naturel (différence entre les naissances et les décès) est positif en France, bien que faible (47 000), de même ordre de grandeur qu’en 2022 (51 000). Il contribue à la croissance de la population. Le solde migratoire (différence entre les entrées et les sorties du territoire), également positif et estimé à 183 000 en 2023 par l’Insee, contribue de façon plus importante à la croissance de population que le solde naturel (pour 4/5 en 2023).

      L’effectif de femmes en âge d’avoir des enfants ayant peu diminué ces dernières années, c’est la baisse de la fécondité qui explique l’essentiel de la diminution des naissances [2]. Après une très légère reprise en 2021, due au rattrapage de naissances dont la conception avait été reportée lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19 en 2020 (plus déstabilisatrice et ayant entraîné des confinements plus stricts que les suivantes), l’indicateur conjoncturel de fécondité continue sa baisse. Il a diminué de 1,79 enfant par femme en 2022 à 1,68 en 2023, soit une baisse annuelle exceptionnelle et un niveau historiquement bas depuis la fin du baby-boom (les années 1993 et 1994 mises à part).

      1.1. Une fécondité en baisse, comme dans beaucoup d’autres pays européens

      La France conserve toujours l’indicateur de fécondité le plus élevé de l’Union européenne en 2022 et probablement aussi en 2023 (figure 1), malgré sa baisse récente. Les pays du nord de l’Europe avaient aussi des niveaux de fécondité élevés au début des années 2010 et ont tous, à l’exception du Danemark, connu des baisses, qui se sont accentuées depuis les années Covid. Pour certains, comme la Finlande et la Norvège, la baisse était déjà bien marquée dès les années 2010. On constate toutefois une stabilisation en fin de période depuis l’année 2022 pour les pays pour lesquels des données récentes sont disponibles.

      Les indices conjoncturels de fécondité des pays du Sud de l’Europe, très faibles dès 2014 (entre 1,2 et 1,4 enfant par femme), sont restés stables ou ont légèrement baissé dans les 10 ans qui suivent, exception faite de la baisse ponctuelle liée à la période Covid-19 [3], bien visible en données mensuelles. Le Portugal est le seul pays d’Europe du Sud à connaître une hausse sur la période, passant de 1,2 à 1,5 au cours de la décennie.

      Les évolutions des pays anciennement du bloc de l’Europe de l’Est sont plus diverses. Pour beaucoup d’entre eux, il y a eu une légère reprise de la fécondité, soit au début (Lituanie, Lettonie) soit à la fin de la décennie 2010 (Hongrie, Pologne, Tchéquie), mais qui n’a été que temporaire. La plupart de ces pays connaissent depuis une nouvelle baisse de leur fécondité. En Hongrie et Slovénie, cette baisse récente est toutefois moins nette.

      1.2. Une convergence des niveaux de fécondité en Europe mais un « choc Covid-19 » inégal

      Parmi les pays voisins de la France et d’Europe centrale, les niveaux de fécondité ont convergé dans la dernière décennie. L’Allemagne et l’Autriche à la fécondité très basse en 2014 ont connu une légère remontée qui a pris fin, tandis que les pays à fécondité élevée entre 1,8 et 2,0 (Irlande, Royaume-Uni et France) ont connu une baisse progressive, plus marquée que celle de la Belgique et des Pays-Bas dont le niveau de fécondité initial était moyen (1,7).

      Si l’on considère l’ensemble de l’Europe, la fécondité est plus homogène qu’elle ne l’était il y a 10 ans, avec une tendance globale à la baisse, comme dans d’autres régions du monde. Le choc lié au Covid-19 est visible dans presque tous les pays, affectant particulièrement les naissances de décembre 2020 et janvier 2021 conçues pendant la première vague, mais cet effet n’a pas été le même dans tous les pays. La grande majorité des pays ont connu une baisse transitoire de leur fécondité suivie souvent d’un rattrapage dans les mois qui ont suivi comme en France (rattrapage d’ampleur parfois plus importante que la baisse en Irlande, Belgique et République tchèque), puis un retour à la tendance baissière pré-Covid-19. À l’inverse, les pays d’Europe du Nord, l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas n’ont pas connu de baisse début 2021 mais un regain temporaire de leur fécondité avant de reprendre aussi leur tendance à la baisse. Les politiques de soutien à la famille, plus généreuses dans ces pays, et leur économie stable, avec parfois des aides exceptionnelles pour la soutenir durant la crise Covid-19, auraient permis aux couples de concrétiser leur projet d’enfant avec confiance même en cette période incertaine [3]. La baisse sévère de la fécondité dès 2022, y compris dans ces pays, pourrait être le signe de changements plus profonds.

      1.3. La population de la France va-t-elle diminuer ?

      La baisse des naissances en 2023 porte-t-elle en germe une diminution prochaine de la population et un vieillissement démographique accru ? L’Insee a publié en novembre 2021 des projections de population pour la France à l’horizon 2070 fondées sur les tendances démographiques des années précédentes [4]. Le scénario central retenait une fécondité de 1,8 enfant par femme, soit un niveau proche de celui de 2020, maintenu constant tout au long de la projection ; une mortalité continuant à baisser au même rythme qu’au cours de la décennie 2010, l’espérance de vie à la naissance atteignant 87,5 ans pour les hommes et 90,0 pour les femmes en 2070 ; et un solde migratoire de + 70 000 personnes par an maintenu constant. Dans ce scénario central de l’Insee, la population de la France continuait d’augmenter jusqu’à un maximum de 69,3 millions en 2044 puis diminuait ensuite jusqu’à 68,1 millions en 2070 [5] (figure 3).

      1.4. Fécondité plus basse, solde migratoire plus élevé : quelles conséquences ?

      Les évolutions observées depuis la publication de ces projections ne correspondent pas tout à fait au scénario central tout en restant entre les scénarios « haut » et « bas ». Ce n’est pas étonnant, tout exercice de projection est appelé à être confronté, et parfois démenti par la réalité – l’objectif n’est pas de deviner le futur mais de dire ce qu’il serait sous telles et telles conditions.

      Nous avons calculé de nouvelles projections selon un scénario nommé « 2023 ». Celui-ci fait l’hypothèse d’une stabilité de la fécondité au niveau de 2023, soit 1,68 enfant par femme (au lieu de 1,8 enfant, niveau du scénario central de l’Insee). La fécondité en 2023 pourrait continuer à baisser dans les années futures, se stabiliser comme dans certains pays d’Europe ou repartir à la hausse. La fécondité avait en effet baissé dans les années 1980 jusqu’à atteindre 1,68 enfant en 1993 et 1994, comme en 2023. Elle avait ensuite augmenté continûment pendant une quinzaine d’années jusqu’en 2010. L’hypothèse d’une fécondité stable à son niveau actuel représente donc un compromis. Pour le solde migratoire annuel, nous retenons un niveau stable de 180 000 par an, soit une valeur entre les niveaux définitifs de 2020 et 2021 (173 000) et provisoire de 2023 (2), au lieu de 70 000 dans le scénario central de 2021. Concernant la mortalité, nous reprenons l’hypothèse de hausse de l’espérance de vie sans la modifier.

      1.5. Si la fécondité se maintient au niveau de 2023, le solde naturel devient négatif à partir de 2030…

      Le scénario 2023 conduit d’ici 2070 à une baisse du nombre de naissances et une hausse de celui des décès, les deux courbes se croisant en 2030, année où le solde naturel deviendrait négatif (figure A1 de l’annexe en ligne). Le déficit s’accroît ensuite et le solde naturel atteint − 166 000 vers 2060. Par rapport au scénario central de 2021, le nombre de décès est un peu plus élevé en fin de projection, les migrants (et donc leurs décès) étant plus nombreux. Le nombre de naissances est un peu plus faible au début de la période, puis les naissances supplémentaires des migrants compensent la fécondité plus basse. Le solde naturel est au total assez peu modifié.

      1.6. … mais la population augmente continûment

      Le scénario 2023 conduit à une hausse ininterrompue de la population jusqu’à 72,1 millions en 2070 (figure 3). La population totale est plus importante en 2070 que celle du scénario central de 2021 du fait du solde migratoire qui fait plus que compenser la fécondité réduite. La population vieillit de manière similaire quel que soit le scénario (voir le détail des projections et de la comparaison dans l’annexe en ligne).

      Le futur n’est pas écrit et des évolutions s’écartant du scénario 2023 présenté ici sont évidemment probables. On peut envisager une poursuite de la baisse de la fécondité, une hausse ou une baisse du solde migratoire, de nouvelles crises de mortalité. Cette projection a cependant l’intérêt de montrer que sans changement de la fécondité ni du solde migratoire après 2023, les progrès contre la mort se poursuivant, la population de la France ne devrait pas diminuer d’ici 2070.

      Appendix A Références

      1. [1] Breton D., Belliot N., Barbieri M., Chaput J., d’Albis H. 2023. L’évolution démographique récente de la France. Les comportements des femmes et des hommes sont-ils si différents ? Population. https://www.ined.fr/fr/publications/editions/conjoncture-demographique/evolution-demographique-recente-de-la-france-2023/
      2. [2] Papon S. 2024. Bilan démographique 2023. En 2023, la fécondité chute, l’espérance de vie se redresse. Insee première, 1978. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004
      3. [3] Sobotka T., Zeman K., Jasilioniene A., et al. 2023. Pandemic Roller-Coaster? Birth Trends in Higher-Income Countries During the COVID-19 Pandemic. Population and Development Review. https://doi.org/10.1111/padr.12544
      4. [4] Algava É., Blanpain N. 2021. 68,1 millions d’habitants en 2070 : une population un peu plus nombreuse qu’en 2021, mais plus âgée. Insee première, 1881. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893969
      5. [5] Toulemon L., Algava É., Blanpain N., Pison G. 2022. La population française devrait continuer de vieillir d’ici un demi-siècle. Population & Sociétés, 597. https://doi.org/10.3917/popsoc.597.0001
      Notes
      1.

       L’Insee a révisé à la hausse le nombre de décès de 2023 (voir https://www.insee.fr/fr/statistiques/6959520). La nouvelle estimation, 638 266 décès (soit une baisse de 5 % par rapport à 2022) encore provisoire, aboutirait à un solde naturel de 40 000.

      2.

       Il s’agit d’un solde migratoire « apparent » obtenu en comparant l’évolution de la population et le solde naturel, et moyenné sur les 3 dernières années pour lesquelles des données définitives sont disponibles. https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1169/documentation-methodologique

      Anne Solaz, Laurent Toulemon and Gilles Pison. Date: 2024-03-19T08:32:00

      En 2023, la fécondité a fortement baissé par rapport à 2022. Il en va de même de la mortalité, après trois années de forte hausse, tandis que le solde migratoire se maintient à un niveau haut. La France est en 2022 le pays de l’Union européenne avec la fécondité la plus élevée, et le reste probablement en 2023. Les évolutions futures sont incertaines, mais le solde migratoire élevé ferait plus que compenser la moindre fécondité si les deux se maintiennent au niveau de 2023 : à l’horizon 2070, la population continuerait de croître.

      Anne Solaz - Ined

      Laurent Toulemon - Ined

      Gilles Pison - Muséum national d’histoire naturelle, Ined

      Citer l’article

      Anne Solaz, Laurent Toulemon, Gilles Pison, La France, toujours une exception démographique en Europe ?, 2024, Population et Sociétés, n° 620

      Cet article peut être reproduit sur papier ou en ligne gratuitement en utilisant notre licence Creative Commons.

      Recevoir l’avis de publication

      Du même auteur

      Sur le même thème