Inquiets mais pollueurs

Une enquête sur le personnel de la recherche française face au changement climatique

Le réchauffement climatique est une préoccupation qui prend de plus en plus de place dans l’environnement médiatique et public. La communauté scientifique alerte les populations sur les risques encourus depuis plusieurs années, et les encourage à changer leurs habitudes de consommation. Pourtant, les acteurs de la recherche ont eux-mêmes des pratiques fortement émettrices de gaz à effet de serre dans le cadre de leur travail. Plus de 6000 personnes ont répondu au questionnaire « Inquiets mais pollueurs : une enquête sur le personnel de la recherche française face au changement climatique », dans lequel Marianne Blanchard (CERTOP, Université de Toulouse – Jean Jaurès), Milan Bouchet-Valat (Ined), Damien Cartron (CMH, CNRS), Jérôme Greffion (IDHES, Université Paris Nanterre) et Julien Gros (LEST, CNRS) interrogent ces pratiques, les représentations des acteurs de la recherche concernant l’urgence climatique, et ce qu’ils sont prêts à mettre en œuvre pour réduire leurs émissions.

Une conscience des enjeux climatiques en décalage avec les pratiques des acteurs de la recherche

Depuis plusieurs années, des chercheurs ont mis en évidence le rôle que jouent les activités humaines dans l’émission de gaz à effet de serre (GES), et leurs effets sur le changement climatique. La communauté scientifique a donc été la première à enjoindre les citoyens à modifier leurs comportements de consommation. Mais des initiatives portées par des scientifiques spécialisés sur le climat et l’environnement ont souligné l’apparent paradoxe entre les pratiques fortement polluantes des acteurs de la recherche dans le cadre de leur travail et leurs discours. De fait, plusieurs travaux ont montré que les émissions de gaz à effet de serre des scientifiques étaient plus importantes que celles de la moyenne de la population. Ceci s’explique en grande partie par l’usage régulier de l’avion pour se rendre à des conférences ou récolter des données : 58% des répondants chercheurs ont pris l’avion à titre professionnel en 2019, ce qui a émis de l’ordre de deux tonnes de CO2. Mais il existe d’autres sources polluantes telles que le matériel informatique, les déplacements domicile-travail, l’alimentation, ou les consommations électriques. De plus, le renouvellement régulier du matériel informatique - 62% des répondants possèdent un équipement de moins de 5 ans - alourdit le coût environnemental et énergétique puisque tout le cycle de vie de l’appareil est pris en compte. De fait, la fabrication du matériel est responsable de plus de la moitié des émissions totales de GES, et est fortement consommatrice de ressources, notamment en métaux rares. Une gestion plus sobre des équipements permettrait une réduction des émissions de GES, puisque qu’une partie des répondants estiment ne pas avoir l’utilité de tous leurs appareils. Cela peut s’expliquer en partie par le financement de la recherche par projets, qui peut pousser à réaliser des dépenses à l’utilité discutable pour consommer des crédits avant la fin du contrat.

Une communauté scientifique prête à faire évoluer ses pratiques 

Souvent bien conscients de l’impact de leur activité professionnelle sur l’environnement, les acteurs de la recherche interrogés se disent prêts à faire des efforts pour réduire leurs émissions d’ici 2030 dans de nombreux domaines, comme l’équipement informatique, les déplacements domicile-travail en véhicule motorisé ou encore les vols professionnels. Face à cette dernière mesure, des craintes existent comme une moins bonne insertion des jeunes chercheurs (54% des répondants), l’accroissement de la bureaucratie (44%) et l’isolement de la recherche française du reste du monde (43%). Ces risques touchent le fonctionnement de la recherche telle qu’elle est aujourd’hui organisée mais des solutions simples permettent de les contourner et elles obtiennent l’assentiment de la majorité des répondants. On y retrouve des politiques globales : la réalisation de bilans carbone qui permettraient aux institutions de financer des systèmes de compensation et des solutions qui affecteraient plus quotidiennement les répondants : favoriser des buffets locaux ou végétariens, proscrire les vols en avion lorsque le même trajet peut être effectué en moins de 6h de train… Dans le contexte post crise sanitaire, nombre de personnels de la recherche ont déjà expérimenté de nouvelles manières de faire, la démocratisation de la vidéoconférence en est l’exemple le plus concret.  De façon plus générale, la pandémie a montré que les individus comme les organisations sont capables, face à une menace, de modifier de façon parfois radicale leurs conduites professionnelles. Il importe désormais que les responsables des institutions impulsent et accompagnent des transformations profondes pour lutter contre le changement climatique. 

Source : Marianne Blanchard, Milan Bouchet-Valat, Damien Cartron, Jérôme Greffion, Julien Gros, 2022, Inquiets mais pollueurs : une enquête sur le personnel de la recherche française face au changement climatique, Document de travail.

Contact : Milan Bouchet-Valat

Mise en ligne : août 2022