Mortalité par Covid 19 : l’exercice délicat des comparaisons internationales

Dès le mois d’avril 2020, l’Ined a ouvert une plateforme Internet dédiée à la collecte et l’analyse des données internationales sur la démographie des décès par Covid-19. La comparaison internationale de ces données est cruciale pour étudier la dynamique de l’épidémie et l’effet des différentes politiques sanitaires. Chaque pays ayant mis en place son propre système de décompte, et celui-ci ayant évolué au fil des mois, les différences de mortalité observées dans le temps et dans l’espace sont difficilement comparables. Une étude menée à partir de la base de données de l’Ined, et portant sur une quinzaine de pays européens, les États-Unis et la Corée du Sud, permet néanmoins de procéder à une comparaison internationale par groupe de pays. L’analyse des données de la première vague souligne des écarts considérables selon les critères utilisés par chaque pays. La comparaison par groupe de pays permet de nuancer le tableau des disparités dans les niveaux de mortalité due à la Covid-19.

Des obstacles aux comparaisons internationales essentiellement dus à l’hétérogénéité des données

Afin de suivre les effets de la pandémie, chaque pays a dû concevoir de nouveaux systèmes de collecte des données ou, a minima, adapter rapidement les systèmes existants. De ce fait, les données collectées diffèrent non seulement entre les pays mais aussi à l’intérieur de ceux-ci. Ce processus est à l’origine de modifications artificielles des tendances pandémiques et conduit à des données démographiques en temps réel imparfaites. La part imputable à des variations épidémiologiques se révèle difficile à évaluer. En France, au début de la pandémie, seuls les décès hospitaliers étaient inclus dans le cumul quotidien des décès. Le décompte a considérablement augmenté après l’ajout des décès en maisons de retraite. Plus précisément, au 21 avril 2020, le nombre cumulé des décès à l’hôpital qui atteignait 12 900, a bondi à 20 796 quand les décès en maisons de retraite ont été pris en compte, plaçant ainsi la France au même niveau que l’Espagne et l’Italie. Toute analyse des statistiques du Covid-19 doit donc tenir compte de trois points clés : 1) les définitions des données (cause du décès, stratégies de dépis­tage, mécanisme de confirmation des cas et prise en compte des « cas pro­bables ») ; 2) la collecte des données (type de système, couverture des lieux de décès, vérification et délai de remontée) ; 3) la temporalité des données (date de référence et fréquence).

Des écarts importants selon les critères utilisés par chaque pays

Au début de l’épidémie, les pays n’ont déclaré que les décès par Covid-19 confirmés par un test en laboratoire. Avec le développement de la pandémie, quelques pays se sont mis, en plus, à comptabiliser et à ajouter les cas probables à leurs statistiques. À titre d’exemple, la Belgique ne déclarait au départ que les décès dont la cause avait été confirmée par un test PCR. Avec le développement de la pandémie, les chiffres ont commencé à englober les cas présumés ou probables. Sur les 9 765 décès attribués à la Covid-19 en Belgique au 2 juillet 2020, seulement 60 % (5 828) avaient été confirmés par un test PCR. Si les Pays-Bas avaient utilisé la même méthode d’analyse, ils auraient déclaré environ 30 % de décès supplémentaires. Cet exemple illustre la nécessité de tenir compte des particularités des données de chaque pays et de rester vigilant dans les analyses sur la mortalité par Covid-19.

Une classification pertinente par groupe de pays

On peut classer les pays selon la complétude des décomptes fournis durant la première vague. Les statistiques d’état civil sont les sources de données qui fournissent les informations les plus exhaustives, normalisées et vérifiées sur la mortalité de la population dans son ensemble. À titre d’exemple en France, les indices comparatifs de mortalité (ICM), qui comparent le nombre de décès dus à la Covid-19 observés dans une population donnée avec le nombre qui serait obtenu en utilisant comme norme une série de taux de mortalité par âge et sexe (établis à partir d’une population de référence), diffèrent : ceux estimés attribués au Covid-19 avec les données hospitalières de Santé publique France (SpF) sont inférieurs d’un tiers à ceux obtenues avec les statistiques d’état civil provenant du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC) (figure 1).

Note : Standardisation indirecte utilisant les Pays-Bas comme référence. De gauche à droite, Angleterre & pays de Galles (Office of National Statistics) ; BEL = Belgique ; SCO = Écosse ; USA = États-Unis d’Amérique ; FRA CépiDc = France (Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès) ; SWE NBHW = Suède (National Board of Health and Welfare) ; SWE FoHM = Suède (Public Health Agency) ; NLD =Pays-Bas ; PRT = Portugal ; DNK = Danemark ; DEU = Allemagne ; AUT = Autriche ; NOR = Norvège ; KOR = République de Corée ; ENW NHS+ICC = Angleterre (National Health Service) et pays de Galles (Public Health Wales) ; ESP MSCBS = Espagne (Ministerio de Sanidad Consumo y Bienestar Social) ; ITA = Italie ; FRA SpF = France (Santé publique France) ; UKR = Ukraine.

Lecture : Les indices comparatifs de mortalité (ICM) comparent le nombre de décès dus à la Covid-19 observés dans une population donnée avec le nombre qui serait obtenu en utilisant comme norme une série de taux de mortalité par âge et sexe (établis à partir d’une population de référence). Ce sont les Pays-Bas qui servent ici de référence. Un ICM de 1,0 indique que les chiffres des décès observés dans un pays X sont identiques à ceux observés aux Pays bas. Une valeur inférieure à 1,0 signale que la mortalité par Covid-19 est moins élevée qu’attendue, et inversement si la valeur est supérieure à 1,0. Les indices les plus élevés sont généralement mesurés dans les pays qui s’appuient sur des sources de données exhaustives et les indices les plus bas dans ceux qui utilisent des sources restreintes.

Des disparités dans les niveaux de mortalité

On a beaucoup dit que la surmortalité par Covid-19 touche principalement les personnes âgées. Plus la couverture des données s’améliore, plus on observe une surmortalité pour la tranche d’âge 80-89 ans.

Cette étude confirme également une surmortalité masculine par Covid-19 chez les adultes, avec un maximum observé en France, en Angleterre et au Pays de Galles, et un minimum en Belgique et en Écosse. Cette surmortalité est très comparable à celle qui existe pour la mortalité toutes causes. Ces différences soulignent l’utilité de calculer des taux de mortalité due au Covid-19 par âge et sexe afin d’obtenir les indicateurs les plus pertinents pour des comparaisons internationales.

Cette pandémie mondiale révèle l’importance des registres nationaux, des informations qu’ils contiennent et de la rapidité de leur mise à disposition.

La base de données « La démographie des décès par Covid‑19 » 

Les données sur la mortalité par Covid-19 contenues dans « La démographie des décès par Covid-19 » fournissent une base solide et sans équivalent pour étudier les variations de la mortalité dans de nombreux pays en fonction des politiques menées, apprécier la situation française dans une perspective internationale et documenter les méthodologies de recueil des données de décès dans les autres pays. Les données à ce jour disponibles sur cette plateforme concernent 20 pays : l’Allemagne, l’Angleterre et le Pays de Galles, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Écosse, Espagne, États-Unis d’Amérique, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, République de Corée, République de Moldavie, la Roumanie, la Suède, la Suisse, l’Ukraine (d’autres pays prochainement).

Source : Jenny Garcia, Catalina Torres, Magali Barbieri et al., 2021, "Différences de mortalité par Covid-19 : conséquence des imperfections et de la diversité des systèmes de collecte des données", Population (édition française) 76: 37-76.

Mise en ligne : 15/07/2021