Stéphanie Condon

présente sa mission de référente égalité de l’Ined

Ined - Isabelle Brianchon


Chercheure à l’Ined, Stéphanie Condon, coresponsable de l’unité migrations internationales et minorités, étudie les migrations, les sociétés des Départements d’outremer, etc., en travaillant particulièrement sur les rapports de genre. Elle a participé à la première enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l’Enveff, en 2000. Depuis le printemps 2015, elle est la référente égalité de l’Ined.

(Entretien réalisé en juin 2015)

 

Vous avez été nommée au printemps référente égalité à l’Ined, de quoi s’agit-il ?

Cette mission s’inscrit dans un mouvement en faveur de l’égalité dans l’enseignement supérieur et la recherche. La nomination d’un ou une référent-e égalité fait ainsi partie des mesures préconisées par la charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a été rédigée en 2013 par la Conférence des présidents d’université et les présidents des écoles d’ingénieurs avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministère des Droits des femmes.

Cette « charte pour l’égalité » invite tous les établissements à utiliser des outils de communication non sexistes, non discriminants et non stéréotypés, à faire diffuser un état des lieux statistiques sexué de la répartition du personnel, selon les corps et les grades, à organiser des actions de sensibilisation à l’égalité et contribuer à prévenir toute forme de violence ou de harcèlement.

Pour renforcer l’application de la charte, une feuille de route a été envoyée en 2015 à tous les établissements de l’enseignement supérieur, la recherche et l’Education nationale. Il s’agit de donner une meilleure visibilité aux actions menées et de favoriser la transmission de l’information pour que les initiatives qui fonctionnent puissent servir de modèle. Les référent-e-s égalité doivent permettre de mieux coordonner les différentes mesures et d’assurer un relais vers l’extérieur. La deuxième journée annuelle du réseau égalité de l’enseignement supérieur et de la recherche était d’ailleurs organisée le 25 juin à l’université de Rennes 2.

En quoi va consister votre action ?

Je vais réaliser à l’automne un état des lieux de la répartition du personnel, par services et fonctions hiérarchiques, puis organiser des rencontres avec les différents services de l’Ined pour mener un travail de réflexion sur le sexisme au quotidien, les stéréotypes, le harcèlement sexuel…

Le monde de la recherche s’est beaucoup féminisé, et c’est bien le cas de l’Ined, mais certains services ou certains domaines sont plus féminins que d’autres. Il faut mettre en avant les avancées, mais aussi s’interroger : une majorité de femmes, est-ce que cela veut dire qu’on a atteint la parité ? Quelles fonctions occupent les femmes ?

Par ailleurs, la féminisation ne garantit pas nécessairement l’égalité. Une femme responsable peut aussi prendre des décisions sexistes, et, par exemple, ne pas choisir une femme enceinte pour diriger un projet. En matière de conditions de travail, l’égalité passe aussi par le respect des droits des hommes, par exemple la possibilité pour un jeune père de prendre un congé paternité ou de refuser des réunions en fin de journée. Discuter de ces questions peut aussi permettre d’alerter sur les risques de comportements sexistes ou de harcèlement en dehors de l’institut, dans le cadre de colloques ou de missions.

Enfin, il faut songer à la présentation graphique des travaux de recherche pour éviter de véhiculer des clichés de genre : se garder des icônes représentant les femmes par une figure à jupe et couettes ou des histogrammes en rose et bleu, prêter attention au choix des photos…

Ma mission consiste ainsi à mettre en place une « veille genre ». Car malgré les progrès, la menace d’un recul plane toujours. Il manque souvent peu de choses pour que la domination masculine reprenne le dessus, notamment parce que certains stéréotypes demeurent profondément enracinés chez les hommes comme chez les femmes.

Le monde de la recherche en sciences humaines a-t-il encore des efforts à faire en matière d’égalité femmes-hommes ?

La démographie et la sociologie accordent une large place aux femmes. Mais les chercheures se retrouvent parfois cantonnées dans certaines thématiques « réservées » aux femmes et par conséquent un peu moins valorisées. Un état des lieux par discipline serait intéressant.

Il reste aussi à intégrer cette dimension du genre dans tous les domaines d’étude, en regardant également les intersections entre les inégalités de genre et d’autres formes d’inégalités sociales (classe, âge, celles fondées sur le racisme…), ce que nous appelons « l’intersectionnalité ». A cet égard, nous avons un rôle à jouer auprès des jeunes chercheur-e-s ou des doctorant-e-s que nous encadrons.

Les études sur le genre menées à l’Ined peuvent servir informer le grand public et les politiques et aboutir à des mesures pour lutter contre les inégalités. Mais travailler sur le genre, ce n’est pas seulement travailler sur les femmes. Pour compléter le paysage, il faut également observer l’impact des stéréotypes sur les hommes. Dans un domaine comme les migrations, par exemple, il manque aujourd’hui de travaux sur les hommes, alors les femmes migrantes ont été davantage étudiées ces dernières années, notamment celles qui travaillent dans le « care », les services à la personne. Là encore, les chercheurs de l’Ined peuvent contribuer à diffuser cette réflexion dans l’ensemble de la recherche et partager cette culture « genre » lors de leurs collaborations avec l’extérieur.