@@src2@@

Huit milliards d’humains aujourd’hui, combien demain ?

Population et Sociétés

604, Octobre 2022

https://doi.org/10.3917/popsoc.604.0001

Huit milliards d’humains aujourd’hui, combien demain ?
Gilles Pison

Muséum national d’histoire naturelle et Institut national d’études démographiques

La population mondiale franchit le seuil de 8 milliards en 2022 et devrait atteindre 9 milliards vers 2037. La croissance démographique décélère pourtant : ayant atteint un maximum de plus de 2 % par an il y a soixante ans, elle a diminué de moitié depuis (1 % en 2022) et devrait continuer de baisser jusqu’à la quasi-stabilisation de la population mondiale d’ici la fin du siècle autour de 10 milliards d’habitants. L’un des grands changements à venir est l’important accroissement de la population de l’Afrique qui pourrait tripler d’ici la fin du siècle, passant de 1,4 milliard d’habitants en 2022 à 3,9 milliards en 2100.

Population mondiale, transition démographique, projections de population, croissance démographique, fécondité, mortalité, Monde, Europe, Afrique, Asie, Amérique latine

Table of contents

      1.

      L’humanité s’accroît rapidement, suscitant la crainte de la surpopulation. Les projections des démographes annoncent une poursuite de la croissance pendant encore quelques décennies, mais à un rythme décélérant d’année en année. Comme nous l’explique Gilles Pison, l’humanité n’échappera pas à un surcroît d’environ 2 milliards d’habitants d’ici la fin du siècle, mais elle ne devrait probablement plus guère augmenter alors.

      D’après les Nations unies, la population mondiale franchit le seuil de 8 milliards d’habitants mi-novembre 2022 [1] (encadré). Elle n’en comptait qu’un milliard en 1800 et a donc été multipliée par huit au cours des deux derniers siècles. Elle devrait continuer à croître et pourrait atteindre environ 10 milliards à la fin du XXIe siècle d’après les projections moyennes des Nations unies (figure 1). Les scénarios bas et haut encadrant ce scénario moyen conduisent respectivement à 7 et 15 milliards en 2100. Cette fourchette, du simple au double, est cependant extrêmement large de l’avis même des Nations unies, qui considèrent leurs scénarios haut et bas comme très peu probables. Resserrant la fourchette, elles estiment qu’il y a 95 % de chance pour que la population se situe entre 8,9 et 12,4 milliards en 2100 [1]. Pourquoi la croissance devrait-elle se poursuivre ? La stabilisation est-elle envisageable à terme ?

      1.1. La croissance est liée à la transition démographique

      La population n’augmentait pas ou que très faiblement jusqu’il y a deux siècles, en raison d’un quasi-équilibre entre les naissances et les décès. De violentes crises de mortalité, au gré des épidémies et des famines, faisaient osciller la durée de vie moyenne entre 20 et 30 ans, en raison notamment d’une très forte mortalité infantile. Il fallait, pour équilibrer cette mortalité, une fécondité moyenne élevée, de l’ordre de 6 enfants par femme. Cet équilibre a été rompu il y a deux siècles dans le monde occidental. Avec l’essor économique, les premiers progrès de l’hygiène et de la médecine, ainsi que la mise en place des grands États modernes, les épidémies et les famines disparaissent progressivement d’Europe et d’Amérique du Nord. La mortalité, notamment infantile, diminue. Les familles étant toujours aussi nombreuses, les naissances excèdent dorénavant les décès et la population s’accroît. Après une ou plusieurs générations, les adultes prennent conscience que la plupart des enfants échappent désormais à la mort. Les enfants deviennent par ailleurs une charge dès lors qu’il faut les envoyer à l’école jusqu’à un âge de plus en plus élevé. Avec la diffusion des idées du siècle des Lumières, qui prônent l’individualisme et la critique des contraintes religieuses, un nouveau comportement se répand à travers l’Europe et l’Amérique du Nord, la limitation volontaire des naissances. Le nombre d’enfants par femme diminue. Mais la mortalité poursuivant sa baisse, les naissances restent supérieures aux décès et la population continue d’augmenter. Ce n’est que dans les générations ultérieures que cette croissance se ralentit progressivement, lorsque le nombre de décès se stabilise et est rejoint par celui des naissances. La « transition démographique », comme on appelle ces changements des conditions de vie et des comportements, est alors terminée. Dans l’équilibre théorique moderne, qui n’a été observé dans aucun pays mais dont les pays sont censés se rapprocher, la fécondité serait proche de deux enfants par femme, la durée de vie moyenne égale ou supérieure à 70 ans. Les naissances égaleraient à peu près les décès.

      Cette histoire que les pays aujourd’hui développés ont connue, les autres pays la vivent à leur tour, ce qui explique que leur population soit en pleine expansion et alimente la croissance démographique mondiale.

      1.2. La croissance démographique va se poursuivre tout en décélérant

      La population mondiale continue d’augmenter, mais à un rythme de plus en plus faible (figure 2). La croissance démographique a atteint un maximum de plus de 2 % par an il y a soixante ans, elle a diminué de moitié depuis (1 % en 2022) et devrait continuer de baisser jusqu’à la quasi-stabilisation de la population mondiale d’ici la fin du siècle autour de 10 milliards d’habitants d’après le scénario moyen des Nations unies (figure 1).

      L’accélération de la croissance démographique depuis deux siècles tient à l’entrée successive des différentes régions du monde dans la transition démographique. Le maximum atteint il y a soixante ans correspond à une période où la fécondité était encore élevée dans tous les pays du Sud, les femmes y mettant au monde entre 5 et 7 enfants en moyenne chacune. Ces pays avaient vu leur mortalité baisser depuis quelques années ou décennies en raison des avancées de l’hygiène et de la médecine et des progrès socioéconomiques, même si elle restait beaucoup plus élevée que dans les pays du Nord. Il en résultait un excédent des naissances sur les décès qui alimentait une croissance démographique soutenue. Ce phénomène était connu des démographes à l’époque, le grand public n’en ayant pris conscience que quelques années plus tard lorsqu’il lui a été présenté comme une « explosion démographique ». Plus justement, c’était le signe que les pays du Sud entraient à leur tour dans la transition démographique, de façon plus rapide que les pays du Nord quelques décennies ou un siècle auparavant. Des taux d’accroissement de l’ordre de 3 % par an (doublement en 23 ans) n’étaient pas rares, alors que dans l’Europe de 1880 à 1914, ceux qui restaient durablement autour de 1,5 % par an étaient exceptionnels.

      Les démographes anticipaient le fait que la baisse de la mortalité dans les pays du Sud serait suivie tôt ou tard d’une baisse de la fécondité, comme cela avait été le cas dans les pays du Nord. La limitation volontaire des naissances avait mis du temps à se diffuser en Occident – apparue dès la fin du XVIIIe siècle dans certains pays, bien avant la contraception moderne, elle n’a touché l’ensemble de la population que dans la deuxième partie du XXe siècle –, et les démographes pensaient qu’il en serait de même dans les pays du Sud, même avec des programmes de contrôle des naissances. Ils étaient confortés dans cette idée par les ethnologues qui décrivaient les sociétés de ces pays comme très attachées aux familles nombreuses et nullement prêtes à limiter leurs naissances.

      1.3. Une surprise : la chute rapide de la fécondité en Asie et en Amérique latine

      Les démographes ont été surpris lorsque les enquêtes ont révélé que la fécondité avait commencé à baisser très rapidement dans beaucoup de pays d’Asie et d’Amérique latine dans les années 1960 et 1970. Ils ont dû notamment revoir sensiblement à la baisse leurs projections démographiques pour ces continents, même si cette baisse de fécondité n’entraînait pas une diminution immédiate de la croissance en raison de l’inertie démographique – tant que la population est jeune et compte une proportion importante de jeunes adultes, même si chaque couple a peu d’enfants, le nombre total de naissances reste élevé.

      Un des résultats est qu’en 2022 la fécondité mondiale n’est plus que de 2,3 enfants en moyenne par femme, soit inférieure à la moitié de ce qu’elle était en 1950 (5 enfants). Mais la moyenne actuelle de 2,3 enfants recouvre une grande diversité de situations. La fécondité la plus faible est en Corée du Sud (0,9 enfant par femme) et la plus élevée au Niger (6,7 enfants). Dans la plupart des pays ou régions du monde incluant bon nombre de régions du Sud et rassemblant au total les deux tiers de l’humanité, la fécondité se situe désormais au-dessous du seuil de remplacement de 2,1 enfants par femme. C’est le cas en Inde (2,0 enfants par femme), en Iran (1,7), au Brésil (1,6), en Thaïlande (1,3) et en Chine (1,2).

      Parmi les régions à (encore) forte fécondité – supérieure à 2,5 enfants par femme –, on trouve presque toute l’Afrique, une partie du Moyen-Orient, et une bande en Asie allant du Kazakhstan au Pakistan en passant par l’Afghanistan (figure 3). C’est là que l’accroissement de population sera le plus important d’ici la fin du siècle, même si la limitation volontaire des naissances devrait s’y généraliser à terme comme partout ailleurs.

      1.4. L’essor démographique de l’Afrique

      L’un des grands changements démographiques à venir est l’important accroissement de la population de l’Afrique qui, Afrique du Nord comprise, pourrait presque tripler d’ici la fin du siècle, passant de 1,4 milliard d’habitants en 2022 à 3,9 milliards en 2100 d’après le scénario moyen des Nations unies. Alors qu’un humain sur six vit aujourd’hui en Afrique, ce sera probablement un sur quatre en 2050 et peut-être plus d’un sur trois en 2100. L’accroissement devrait être particulièrement important en Afrique au sud du Sahara, où la population passerait de 1,2 milliard d’habitants en 2022 à 3,4 milliards en 2100 d’après ce même scénario.

      L’Afrique connaîtra sans doute la transition démographique jusqu’à son terme, comme les autres continents avant elle, mais probablement d’une façon différente, notamment pour l’évolution de la fécondité. En Afrique du Nord, un rebond de fécondité a par exemple été observé dans la plupart des pays au cours des années récentes, qui a surpris. Il est probablement temporaire et lié en partie à la dégradation des conditions socioéconomiques et à la difficulté pour les femmes d’accéder à l‘emploi.

      En Afrique subsaharienne, c’est le rythme de baisse de la fécondité qui est difficile à anticiper pour la suite. Il est certes actuellement plus lent qu’en Asie et en Amérique latine il y a plusieurs décennies, mais il est plus rapide que celui observé en Europe et en Amérique du Nord autrefois.

      La fécondité diminue bien en Afrique subsaharienne, mais dans les milieux instruits et dans les villes plus que dans les campagnes où vit encore la majorité de la population. Si la baisse de la fécondité y est pour l’instant plus lente que celle observée il y a quelques décennies en Asie et en Amérique latine (figure 4), cela ne vient pas d’un refus de la contraception. La plupart des familles rurales ne se sont certes pas encore converties au modèle à deux enfants, mais elles souhaitent avoir moins d’enfants, et notamment plus espacés. Elles sont prêtes pour cela à utiliser la contraception mais ne bénéficient pas toujours de services adaptés pour y arriver. Les programmes nationaux de contrôle des naissances existent mais sont peu efficaces, manquent de moyens, et surtout souffrent d’un manque de motivation de leurs responsables et des personnels chargés de les mettre en œuvre sur le terrain. Beaucoup ne sont pas persuadés de l’intérêt de limiter les naissances, y compris au plus haut niveau de l’État, même si ce n’est pas le discours officiel tenu aux organisations internationales. Avec le relativement faible niveau de développement, c’est là une des différences avec l’Asie et l’Amérique latine des années 1960 et 1970, et l’un des obstacles à lever si l’on veut que la fécondité diminue plus rapidement en Afrique subsaharienne.

      ***

      L’avenir de la population mondiale est en grande partie tracé à court terme. Les projections démographiques sont en effet relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population dans les dix, vingt ou trente prochaines années. La plupart des humains qui vivront alors sont en effet déjà nés, on connaît le nombre de ceux vivant aujourd’hui, et on peut estimer sans trop d’erreurs la proportion d’entre eux qui mourront d’ici là. Concernant les nouveau-nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les 20 prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire également une hypothèse sur leur fécondité. Au-delà des trente prochaines années, l’avenir est en revanche plus incertain, sans modèle sur lequel s’appuyer. Celui de la transition démographique, qui a fait ses preuves pour les évolutions des deux derniers siècles, ne nous est plus guère utile à cet horizon lointain.

      Si l’on peut dès maintenant réfléchir à l’équilibre à trouver à long terme, l’urgence est au court terme – les prochaines années et décennies. Il est illusoire de penser pouvoir beaucoup agir sur le nombre des humains à cet horizon. S’il augmente, c’est à un rythme décélérant de lui-même, les femmes et les hommes ayant fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité. L’humanité n’échappera cependant pas à un surcroît de 2 milliards d’habitants d’ici trente ans, en raison de l’inertie démographique que nul ne peut empêcher. Il est possible d’agir en revanche sur les modes de vie, et ceci sans attendre, afin de les rendre plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité et plus économes en ressources. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre de humains que celle de leur mode de vie.

      1.4.1. Encadré. 8 milliards le 15 novembre 2022 : en est-on sûr ?

      D’après les Nations unies, c’est le 15 novembre 2022 exactement que le chiffre de 8 milliards est atteint. Mais en sommes-nous certains ? Grâce aux recensements, nous disposons d’informations sur l’effectif de la population pour tous les pays du monde, même si leur qualité varie d’un pays à l’autre. Elles permettent d’estimer le nombre total d’êtres humains à quelques pourcents près. Il est donc possible que le seuil de 8 milliards ait été franchi un ou deux ans plus tôt que 2022, ou un ou deux ans plus tard. Il n’empêche, les tendances démographiques mondiales sont bien connues et permettent d’annoncer entre 9 et 11 milliards d’habitants sur la planète en 2050.

      1.4.1. Pour en savoir plus sur la population mondiale

      Consultez le site internet de l’Ined : www.ined.fr

      La rubrique « Tout savoir sur la population » offre de nombreuses informations sur la population mondiale,

      • avec « La population et moi » découvrez votre place au sein de la population mondiale,

      • avec « La population en graphiques » accédez aux statistiques de population des Nations unies, naviguez d’un pays à l’autre, visionnez les évolutions dans le temps, classez et comparez les pays,

      • avec « La population en cartes » affichez les cartes mondiales d’une trentaine d’indicateurs démographiques et visualisez les évolutions depuis 1950,

      • avec « Le simulateur de population » projetez-vous dans l’avenir en introduisant vos propres hypothèses.

      Le site de l’Ined offre également des animations, vidéos, fiches pédagogiques et publications sur la population mondiale.

      Appendix A Références

      1. [1] Nations unies, 2022 – Division de la Population, World Population Prospects: the 2022 Revision (https://population.un.org/wpp/).
      Gilles Pison. Date: 2022-10-17T10:01:00

      La population mondiale franchit le seuil de 8 milliards en 2022 et devrait atteindre 9 milliards vers 2037. La croissance démographique décélère pourtant : ayant atteint un maximum de plus de 2 % par an il y a soixante ans, elle a diminué de moitié depuis (1 % en 2022) et devrait continuer de baisser jusqu’à la quasi-stabilisation de la population mondiale d’ici la fin du siècle autour de 10 milliards d’habitants. L’un des grands changements à venir est l’important accroissement de la population de l’Afrique qui pourrait tripler d’ici la fin du siècle, passant de 1,4 milliard d’habitants en 2022 à 3,9 milliards en 2100.

      Citer l’article

      Gilles Pison, Huit milliards d’humains aujourd’hui, combien demain ?, 2022, Population et Sociétés, n° 604

      Cet article peut être reproduit sur papier ou en ligne gratuitement en utilisant notre licence Creative Commons.

      Recevoir l’avis de publication

      Du même auteur

      Sur le même thème