Dès l’enfance, l’épargne porte la marque des inégalités sociales et familiales

Dès la naissance, certains enfants disposent d’un livret ou d’un produit d’épargne à leur nom, quand d’autres n’en ont aucun à leur majorité. Dans ce nouveau numéro du mensuel Population & Sociétés de l’Ined, la chercheuse Marion Leturcq montre, à partir des enquêtes Patrimoine*, que l’épargne constituée pour les enfants est une pratique familiale répandue, mais marquée par de fortes disparités. Ces écarts reflètent à la fois les différences de patrimoine entre ménages et les stratégies familiales de transmission.

Une pratique familiale répandue, mais très inégale

Plus d’un enfant sur trois dispose déjà d’un produit d’épargne à l’âge d’un an, et près de trois sur quatre à l’approche de la majorité. En moyenne, l’épargne détenue au nom d’un enfant s’élève à 1 300 euros, mais la moitié des enfants ne possède rien ou presque, tandis que 10 % disposent de plus de 3 150 euros. Les montants augmentent fortement avec l’âge : 350 euros en moyenne pour les 0-1 an, contre 2 330 euros pour les 16-17 ans.

Le poids décisif du patrimoine des parents

L’épargne des enfants reflète la richesse en patrimoine du foyer : 40 % des enfants issus de la moitié plus pauvre des ménages n’ont aucun produit d’épargne, contre seulement 13 % pour ceux appartenant aux 10 % de ménages les plus riches. Les montants épargnés diffèrent dans des proportions considérables : à 16-17 ans, la moitié des enfants des ménages les plus riches disposent de plus de 1 800 euros, et un sur dix de plus de 19 000 euros. Au total, 10 % des enfants concentrent à eux seuls 74 % de l’ensemble de l’épargne constituée pour les enfants.

Situation familiale, fratries, grands-parents déterminent aussi cette épargne

À niveau de patrimoine et autres caractéristiques du ménage comparables, les enfants vivant avec leurs deux parents disposent en moyenne de 2 315 euros, contre 1 633 euros dans les familles recomposées. La taille de la fratrie joue également un rôle : un enfant unique détient en moyenne 3 100 euros, tandis qu’un enfant issu d’une famille de trois enfants a moins de 2000 euros. Enfin, la présence de grands-parents vivants ou d’héritages antérieurs augmente significativement les montants d’épargne : un enfant ayant encore ses quatre grands-parents détient environ 3 300 euros, contre 1 900 euros lorsque les grands-parents ont disparu.

Des inégalités précoces et durables

Ces résultats montrent que des inégalités patrimoniales se forment pendant l’enfance. Au moment de la majorité, certains jeunes disposent d’un capital financier leur permettant de démarrer plus sereinement leur vie adulte, quand d’autres ne disposent pas de cette ressource individuelle. Dans plusieurs pays, des dispositifs publics d’épargne pour enfants, les child development accounts, ont été expérimentés afin de garantir un minimum de ressources à chacun. En France, aucun dispositif de ce type n’a encore vu le jour.

CHIFFRES-CLÉS

  • 55 % des enfants de 0 à 17 ans disposent d’un produit d’épargne ouvert à leur nom.
  • Épargne moyenne par enfant : 1 300 euros (de 350 € à 2 330 € selon l’âge).
  • 10 % des enfants détiennent 74 % de l’épargne enfantine totale.
  • 40 % des enfants des ménages patrimonialement modestes n’ont aucun produit d’épargne à 16-17 ans.
  • Épargne moyenne d’un enfant unique : 3 100 euros ; dans une famille de trois enfants : moins de 2000 euros par enfant.
  • Un enfant avec quatre grands-parents en vie détient en moyenne 3 300 euros, contre 1 900 euros sans grands-parents.

 

Enquêtes Patrimoine

L’analyse repose sur les enquêtes Patrimoine (2004, 2010) et Histoire de vie et patrimoine (2015, 2018, 2021) de l’Insee. Chaque enquête interroge 10 000 à 15 000 ménages représentatifs de la population française, recueillant des informations détaillées sur leurs actifs et passifs, y compris les produits financiers ouverts au nom des enfants, ainsi que sur leurs caractéristiques sociodémographiques. Pour mesurer l’épargne des enfants, sont pris en compte les livrets d’épargne, l’épargne-logement et les produits financiers (assurance-vie, épargne-retraite, actions), tandis que les comptes courants sont exclus. Les cinq enquêtes sont cumulées pour former un échantillon total de 28 656 enfants.

Source : L’épargne pour les enfants : de fortes disparités sociales et familiales, Marion Leturcq, Population & Sociétés, n° 638, novembre 2025