Nathalie Le Bouteillec et Jean-Marc Rohrbasser

répondent à nos questions sur l’ouvrage "Naissance des sciences de la population".

(Entretien réalisé en février 2018)

Quels sont les textes rassemblés dans cet ouvrage ?

cc Ined

L’ouvrage présente les traductions inédites en français de trente mémoires publiés dans les Annales de l’Académie des sciences, treize d’entre eux étant signés de l’astronome suédois Pehr Wargentin. Ces traductions sont précédées de trois textes introductifs retraçant l’histoire politique, scientifique et économique suédoise du temps des libertés et soulignant les choix méthodologiques opérés par les savants de l’époque et les avancées démographiques que cet ensemble de travaux présente.

Dans quel contexte et pour quelles raisons l’Académie royale des sciences a-t-elle vu le jour ?

L’Académie royale des sciences de Suède a été créée en 1739, pendant l’"ère des libertés". Tout au long de cette période, les sciences ont été au service de l’économie et, de fait, la mission première de l’Académie des sciences est de développer l’économie en rassemblant et en promouvant les connaissances scientifiques dans le domaine des mathématiques, des sciences de la nature, de l’économie, du commerce et des manufactures. Le fait que l’Académie compte parmi ses membres des entrepreneurs et des ingénieurs dont le rôle est jugé central pour le développement de l’économie atteste de leur volonté de faire de l’Académie le sanctuaire de l’utilité pratique et sociale. Outre le choix des disciplines ou des membres, cette volonté est perceptible via le choix des thèmes ou la sélection des textes publiés dans les Actes de l’Académie des sciences. Carl von Linné publie dans la première édition de ces Actes un texte intitulé Pensées sur les fondements de l’économie à travers les connaissances naturelles et la physique. Dans ce texte consacré à la mission des sciences dans la société, Linné montre la nécessité de connaître la nature pour mieux servir l’industrie et l’agriculture.

En quoi la Suède a-t-elle été pionnière en matière de démographie et de statistique ?

Le lecteur de cet ouvrage sera sans doute surpris, non seulement de la pertinence et de la rigueur des textes présentés, mais encore des avancées remarquables qu’ils contiennent dans le champ de la science des populations. L’ensemble de ces travaux — et particulièrement ceux de Wargentin — traitent de questions mal, peu, voire pas du tout abordées auparavant. On y rencontre des considérations sur la saisonnalité des naissances, des décès et des mariages, un calcul exact du doublement de la population et de sa vitesse, une prémonition théorique de la pyramide des âges comme représentation pertinente de la distribution par âge d’une population, une réflexion sur le rapport entre peuplement et territoire et une tentative de mesure des mouvements migratoires, à notre connaissance inédite en 1780. Ces importantes propositions théoriques s’insèrent dans un ensemble très complet, un véritable traité de la population qui, tout en privilégiant, de manière compréhensible, la situation suédoise, n’en recourt pas moins à de nombreux éclairages comparatifs qui généralisent et expliquent les résultats obtenus. Par ailleurs, la discussion critique de la collecte et de la pertinence des données est toujours effectuée avec un soin et une rigueur qui peuvent encore servir de modèle aux statisticiens d’aujourd’hui.