Les violences sexuelles envers les hommes: commises par d’autres hommes, dans l’enfance
Population et Sociétés
n° 633, mai 2025
https://doi.org/10.3917/popsoc.633.0001
Institut national d’études démographiques (Ined), École des hautes études en sciences sociales (EHESS), centre Maurice Halbwachs, École universitaire de recherche en sciences sociales du genre et de la sexualité (EUR GSST).
L’enquête Virage montre que les violences sexuelles à l’encontre des hommes existent, bien qu’elles soient quatre fois moins fréquentes que chez les femmes. Contrairement aux femmes, les hommes sont moins exposés à l’âge adulte. Ces violences ont majoritairement lieu pendant l’enfance. Les auteurs des actes de violence sont principalement des hommes connus et proches des garçons et les violences sont principalement perpétrées dans l’entourage familial et les lieux de sociabilité. La majorité des hommes perçoivent ces violences comme graves et marquantes, quelle que soit leur caractérisation juridique.
agression, violence, violence sexuelle, homme, genre, enquête Virage, viol, enfance, famille
Table of contents
- Appendix A Références
1.
Les hommes, dans une moindre mesure que les femmes, peuvent subir des violences sexuelles. Ces situations sont encore peu documentées. Les récits de violences dans l’Église catholique, l’école ou la famille, encouragés par le mouvement #MeToo et ses déclinaisons, les ont rendues plus audibles. Combien d’hommes déclarent des violences ? Qui sont leurs agresseurs et dans quel cadre ces violences ont-elles lieu ? L’autrice répond à ces questions grâce aux données de l’enquête Virage.
Les femmes sont presque quatre fois plus fréquemment victimes de violences sexuelles que les hommes : 14,5 % des femmes en ont subi au cours de leur vie, contre 3,9 % des hommes [1] si l’on adopte une définition large (encadré). Si les femmes sont particulièrement exposées dans l’enfance [2], à la différence des hommes, elles continuent d’être agressées à l’âge adulte, notamment dans le cadre de relations conjugales et affectives, dans les espaces publics et le milieu professionnel [1, 3]. Ces violences sont massivement commises par des hommes (96 %) et sont l’expression d’une domination masculine.
Depuis une dizaine d’années, la parole publique d’hommes ayant subi des violences sexuelles est plus présente. Dans le cadre du mouvement #MeToo et, plus largement, d’une visibilité accrue des violences sexuelles, des hommes ont dénoncé celles dont ils ont été victimes dans des contextes divers, tels que l’Église et des institutions catholiques, les milieux scolaire, sportif ou familial. L’enquête Virage offre l’opportunité d’explorer les principales caractéristiques de ces violences sexuelles subies par les hommes. La suite de ce numéro porte sur une sélection restreinte de faits de violences sexuelles (encadré), ceux qui relèvent d’une catégorie juridique (agressions sexuelles, viols et tentatives de viol).
1.1. La plupart des hommes sont enfants ou adolescents au moment des violences
En ce qui concerne les violences sexuelles relevant d’une catégorie juridique, 1,4 % des hommes ont déclaré en avoir subi au cours de leur vie, soit quatre fois moins que les femmes (5,5 % avec la même définition). Dans huit cas sur dix, les hommes qui déclarent des violences sexuelles les ont subies durant leur minorité (figure 1). Ces violences ont eu lieu avant l’âge de 14 ans pour la moitié d’entre eux et avant l’âge de 10 ans pour un tiers d’entre eux. Parmi les hommes déclarant des faits après 18 ans, rares sont les violences subies au-delà de l’âge de 25 ans. Les violences sexuelles envers les hommes s’étendent donc sur une période de vie plus courte que chez les femmes, qui y sont exposées tout au long de leur vie [1, 2]. Les enfants ne sont pas ou très peu informés sur les questions de sexualité, et en l’absence de prévention systématique des violences contre eux (filles comme garçons), ils sont souvent contraints au silence. Les violences sexuelles vécues par les garçons sont difficiles à identifier. Les hommes continuent à avoir des difficultés à les nommer, même des années après [3, 5].
1.2. Des violences majoritairement commises par des hommes proches des garçons
La majorité des violences sexuelles à l’encontre des garçons sont commises par des personnes connues (famille, ami∙es, milieu scolaire, etc.). Plus de quatre hommes sur dix déclarent que les violences sexuelles ont eu lieu dans la famille et l’entourage (43 %) (figure 2). Les violences commises par un membre de la famille concernent 16 % des hommes qui déclarent avoir subi des violences. Les relations avec les membres de la famille et l’entourage familial reposent sur un rapport de confiance que les violences sexuelles viennent briser. Cette rupture peut avoir des effets sur le rapport à autrui à long terme : par exemple, ces hommes déclarent plus que les autres ne pas confier, à l’âge adulte, leurs difficultés personnelles à leurs proches [4].
Moins d’un homme sur cinq déclare des faits dans le milieu scolaire (17 %), dans l’espace public (17 %) ou un espace de sociabilité (16 %). Les violences sexuelles commises par les (ex-)conjoint∙es sont particulièrement rares alors qu’à l’inverse, les femmes sont plus exposées dans une relation affective ou conjugale (actuelle ou passée) [1]. Certains hommes déclarent avoir subi des violences sexuelles dans plusieurs cadres de vie, c’est le cas de 8 % de ceux qui déclarent des faits. Une première victimation peut créer un état de vulnérabilité susceptible d’engendrer de nouvelles violences sexuelles.
À des âges très jeunes (0-9 ans), les garçons subissent ces violences principalement au sein de la famille et dans l’entourage proche, c’est-à-dire des personnes qu’ils côtoient quasi quotidiennement. Ensuite, entre 10 et 13 ans, les auteurs appartiennent à un cercle plus large, comme la famille éloignée (des cousins, par exemple) ou des amis de la famille. À l’adolescence, période de sociabilités multiples en dehors du cercle familial, les violences se déplacent vers le milieu scolaire, les espaces publics, les groupes d’amis, les loisirs, le sport, les associations ou encore les activités en lien avec la pratique religieuse.
Les violences sexuelles subies par les hommes sont majoritairement perpétrées par d’autres hommes (figure 3). Les agresseurs sont en position de pouvoir structurelle et sociale (en raison des différences de statut social et juridique entre mineur∙es et majeur∙es), institutionnelle (de par l’exercice de l’autorité parentale ou éducative dans le cas de l’école) et généralement situationnelle (liées aux circonstances du moment, comme l’isolement) ; ils relèguent et maintiennent ainsi les garçons dans une posture dominée. Les violences renvoient les garçons agressés, futurs hommes, à une position défavorable au sein des dynamiques de masculinités [4]. Par conséquent, les violences sexuelles agissent comme des rappels à l’ordre de la domination par les hommes. En effet, dans la mesure où elles sont exercées par d’autres hommes, plus âgés, tout comme les agresseurs des femmes, ces rappels à l’ordre peuvent être lus comme des violences de genre au sens large.
Un nombre significatif de garçons sont agressés par des hommes adultes : ils subissent donc une domination masculine et adulte. Ainsi les adultes exercent un pouvoir qui limite l’autonomie des enfants [6]. L’inégalité de statut social et juridique entre adultes et mineurs renforce cette domination sur les garçons (et les filles), en raison de leur vulnérabilité et innocence supposées [7]. La parole des enfants est contrôlée, ils sont souvent réduits au silence, notamment lorsqu’il s’agit de dénoncer des violences [5, 8]. Les hommes interrogés en entretien soulignent que leur parole a fréquemment été ignorée durant l’enfance, non seulement en ce qui concerne les violences vécues mais aussi dans d’autres domaines de la vie courante, ce qui a entretenu le silence jusqu’à l’âge adulte [3, 4]. C’est particulièrement le cas pour les hommes appartenant à des générations anciennes [5]. Les entretiens montrent que cette prise au sérieux évolue avec l’âge. Lorsqu’une fois adultes, les hommes parlent, l’entourage remet alors rarement en cause leur récit [5], ce qui n’est pas toujours le cas pour les femmes qui parlent.
Les hommes agressés l’ont été en très grande majorité (83 %) par un ou plusieurs hommes, parfois par des femmes (13 %) et très rarement par les deux sexes (figure 3). Quand les violences sont commises par des membres de la famille, elles sont perpétrées par un homme seul dans 44 % des cas, ou par plusieurs hommes dans 49 % des cas. Les entretiens révèlent que quand il y a plusieurs auteurs, ces violences sexuelles s’additionnent, chaque auteur agissant seul à différents moments. Dans la famille, qui suit ses propres règles tout en étant influencée par les normes sociales, le lien filial et l’autorité parentale jouent un rôle central dans la domination exercée sur les enfants. La difficulté à identifier les violences est forte lorsqu’il y a un lien familial entre l’enfant et l’auteur : ce lien d’autorité, de confiance, d’affection crée une contrainte au silence supplémentaire et accentue le risque d’appropriation corporelle des enfants par les hommes qui dirigent la famille [8]. Enfin, si les auteurs restent majoritairement masculins, c’est dans l’entourage familial que les hommes déclarent le plus avoir été agressés par une femme (30 % des hommes), mais peu par des membres de la famille : aucun homme ne rapporte avoir été agressé par sa mère, grand-mère ou sœur dans l’enquête Virage.
1.3. Les hommes ayant subi des violences sexuelles sont exposés à d’autres types de violences
Près de 30 % des hommes qui déclarent avoir subi des violences sexuelles sont aussi exposés à d’autres formes de violence (figure 4). L’entourage familial est le cadre de vie où les hommes déclarent le plus important cumul de violences sexuelles avec d’autres violences. Ainsi, près de la moitié des hommes victimes de violence au sein de la famille ou de son entourage ont subi d’autres violences : 13 % déclarent des violences psychologiques, 14 % des violences physiques et 26 % à la fois des violences psychologiques et physiques. Une première violence subie peut générer des difficultés, notamment dans le rapport aux autres, qui favorise l’exposition à des violences sexuelles par d’autres auteurs ou à d’autres formes de violences dans l’enfance [4]. D’après les entretiens, les violences dans le milieu scolaire tendent à être associées à des situations de harcèlement, souvent commises par d’autres élèves ou du personnel scolaire.
1.4. Des violences perçues comme graves, quelle que soit leur catégorie juridique
Un tiers des hommes ayant subi des violences sexuelles déclarent des faits relevant du viol et la moitié des hommes déclarent des faits relevant de l’agression sexuelle (tableau). Quand les faits sont commis par un membre de la famille ou de l’entourage familial, le caractère pénétratif des violences sexuelles est très fréquent : près de la moitié des hommes déclarent avoir été violés. Les violences sont souvent répétées lorsqu’elles sont commises par un membre de la famille. Dans ces cas de violences sexuelles à multiples reprises, les entretiens montrent que celles qui perdurent dans le temps se caractérisent par une gradation des faits : les auteurs commencent par imposer des agressions sexuelles et les viols surviennent dans un second temps.
Si la distinction juridique entre délits (agressions sexuelles) et crimes (tentatives de viol et viols) est définie par la pénétration1, elle n’est pas toujours représentative de la gravité perçue des violences : près de deux tiers des hommes considèrent les violences sexuelles subies comme marquantes et graves (63 %). C’est aussi le cas de 69 % des hommes qui déclarent avoir subi un viol. La hiérarchisation juridique des violences sexuelles ne reflète pas toujours le vécu de ces hommes.
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Les violences sexuelles envers les hommes sont commises par d’autres hommes, et ce, majoritairement dans l’enfance. Ces violences surviennent principalement dans la famille et son entourage, mais aussi dans les espaces publics, les espaces de sociabilité et le milieu scolaire. La gravité perçue des violences est élevée, quelle que soit la catégorie juridique des faits subis. En ce sens, les violences sexuelles subies par les hommes présentent des similitudes avec celles subies par les femmes durant l’enfance. L’analyse suggère que ces jeunes hommes font l’objet d’une domination à la fois masculine et adulte. Cependant, les femmes continuent d’être exposées après 18 ans, alors que pour les hommes, les violences se raréfient à l’âge adulte.
1.4.1. Encadré 1. Mesurer les violences sexuelles déclarées par les hommes
L’enquête Virage (Violences et rapports de genre, Ined, 2015), réalisée avant le mouvement #MeToo, interroge un échantillon représentatif de 15 556 femmes et 11 712 hommes âgé⋅es de 20 à 69 ans sur les violences interpersonnelles subies au cours de la vie. L’enquête enregistre les violences sexuelles à travers trois questions dont la première est différente selon le sexe :
L’analyse présentée ici porte sur les attouchements du sexe, les viols et tentatives de viol au cours de la vie, c’est-à-dire les hommes ayant répondu « oui » à la question 2 et/ou 3. Les hommes qui déclarent avoir été « frottés ou collés contre leur gré » ne sont pas comptabilisés comme ayant subi des violences sexuelles (voir les raisons de leur exclusion en annexe : https://doi.org/10.34847/nkl.7bccrw3p).
Les questions sont posées pour les différents lieux où s’exercent les violences sexuelles : le milieu scolaire, professionnel, les relations affectives/conjugales en cours ou passées, la « famille et l’entourage », ce qui inclut les violences incestueuses et les violences d’auteurs gravitant autour de la famille, comme un voisin ou un ami.
En complément des données quantitatives, cinquante entretiens ont été réalisés par téléphone avec des répondants à l’enquête Virage ayant déclaré des violences sexuelles et accepté un entretien complémentaire. Ces récits nourrissent les analyses présentées [4].
Appendix A Références
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[1] Hamel C. Debauche A., Brown E., Lebugle A., Lejbowicz T., Mazuy M., Charruault A., Cromer S. et Dupuis J. 2016. Viols et agressions sexuelles en France : premiers résultats de l’enquête Virage, Population & Sociétés, 538. https://doi.org/10.3917/popsoc.538.0001
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[2] Debauche A., Lebugle A., Brown E., Lejbowicz T., Mazuy M., Charruault A., Dupuis J., Cromer S., Hamel C. 2017. Présentation de l’enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles (Document de travail no 229), Ined. https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/enquete-virage-premiers-resultats-violences-sexuelles/
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[3] Marsicano É., Bajos N., Pousson J.-E. 2023. Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : des agressions familiales dont on parle peu. Population & Sociétés, 612. https://doi.org/10.3917/popsoc.612.0001
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[4] Wicky L. 2024. Les violences sexuelles subies par les hommes en France. Parcours de violences et rapports d’âge [Thèse de doctorat, Paris, EHESS].
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[5] Wicky L. 2023. Rapports d’âge et vulnérabilités aux violences. Le cas des hommes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance. Populations Vulnérables, 9. https://doi.org/10.4000/popvuln.4281
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[6] Delphy C. 1994. Minorité légale ou incapacité réelle ? Le statut des enfants, Cahiers du GEDISST (Groupe d’étude sur la division sociale et sexuelle du travail), 11, 9-22. https://doi.org/10.3406/genre.1994.945
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[7] Piterbraut-Merx T. 2024. La domination oubliée. Politiser les rapports adulte-enfant. Éditions Blast.
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[8] Dussy D. 2021 [2013]. Le berceau des dominations. Livre I,Anthropologie de l’inceste. Pocket.
Dans le Code pénal, le viol et l’agression sexuelle se distinguent par la dimension pénétrative des faits. Un viol est un crime défini comme tout acte de pénétration sexuelle commis par violence, contrainte, menace ou surprise. Une agression sexuelle constitue un délit défini comme une atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.
L’enquête Virage montre que les violences sexuelles à l’encontre des hommes existent, bien qu’elles soient quatre fois moins fréquentes que chez les femmes. Contrairement aux femmes, les hommes sont moins exposés à l’âge adulte. Ces violences ont majoritairement lieu pendant l’enfance. Les auteurs des actes de violence sont principalement des hommes connus et proches des garçons et les violences sont principalement perpétrées dans l’entourage familial et les lieux de sociabilité. La majorité des hommes perçoivent ces violences comme graves et marquantes, quelle que soit leur caractérisation juridique.
Lucie Wicky - Institut national d’études démographiques (Ined) ;
École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ;
Centre Maurice Halbwachs ;
École universitaire de recherche en sciences sociales du genre et de la sexualité (EUR GSST
Citer l’article
Lucie Wicky, (2025). Les violences sexuelles envers les hommes : commises par d’autres hommes, dans l’enfance, Population & Sociétés, n° 633. https://doi.org/10.3917/popsoc.633.0001