La division du travail au sein des couples, entre genre et handicap

Comment se matérialise la répartition du travail dans les couples hétérosexuels, lorsque l’homme et/ou la femme fait l’expérience d’un handicap ? 

Sociologue, Célia Bouchet est post-doctorante sur le projet PRESPOL (Promouvoir l’autonomie économique des personnes handicapées par l’emploi et les politiques sociales) financé par le PPR (Programme prioritaire de recherche) Autonomie, LIEPP (Sciences Po), et affiliée au laboratoire Lise (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) (CNRS/Cnam). Elle a remporté le prix jeune auteur 2025 de la revue de l’Ined, Population, pour son article intitulé : « Quand la division sexuée du travail est entravée : handicap et arrangements conjugaux en France ».

(Entretien réalisé en septembre 2025)

Quel est le sujet de votre article lauréat du prix jeune auteur ?

Dans cet article, je m’intéresse à la division sexuée du travail au sein des couples hétérosexuels, au prisme du handicap. La division sexuée du travail est un concept important dans la recherche sur les inégalités de genre, renvoyant à la répartition différenciée et hiérarchisée des rôles entre femmes et hommes. Au sein des couples, cela concerne notamment le travail rémunéré versus non rémunéré (tâches domestiques et parentales). Or, la plupart des études du champ ne tiennent pas spécifiquement compte du handicap, se fondant implicitement sur les couples de personnes valides. Ou, quand il est question de handicap, les recherches se concentrent sur les membres de la famille qui apportent une aide informelle aux personnes handicapées, en laissant de côté ces personnes elles-mêmes.

Dans l’article, j’aborde le sujet en combinant des méthodes quantitatives et qualitatives : une analyse de l’Enquête emploi en continu (Insee), et des entretiens biographiques avec des personnes ayant grandi avec une déficience visuelle ou des troubles spécifiques d’apprentissage. Parmi les résultats, il ressort que les restrictions liées au handicap en matière d’emploi et de tâches domestiques peuvent amener les couples à faire des ajustements par rapport aux modèles traditionnels de division du travail. Par exemple, par comparaison aux hommes valides, les hommes handicapés ont des probabilités inférieures d’être dans des couples biactifs ou d’être seul pourvoyeur de revenus (male breadwinner), et ils sont susceptible de prendre en charge certaines tâches domestiques ou parentales lors de périodes où ils sont sans emploi.

Pour les femmes handicapées, les configurations d’emploi sont moins liées à la présence d’enfant que pour les femmes valides (spécialisation parentale) ; et, en cas de restrictions dans les tâches domestiques ou parentales, certaines d’entre elles peuvent obtenir une modeste redistribution de ces tâches au sein du couple. Toutefois, ces ajustements ne remettent pas en cause les normes de genre, qui demeurent un point de référence et un idéal pour les personnes handicapées.

Quels sont vos projets ?

Ma thèse « Handicap et destinées sociales », que j’ai soutenue en 2022, était centrée sur des enjeux liés au handicap. Depuis, je souhaite élargir mon approche des inégalités en couvrant davantage de groupes sociaux et en développant une réflexion plus fine sur les expériences, les représentations et les pratiques des personnes face aux désavantages vécus. Dans cette perspective, avec un collectif d’universitaires et une association handi-féministe, j’ai récemment codirigé un recueil de traductions de textes fondamentaux des études féministes sur le handicap.

Par ailleurs, je conduis une réflexion sur le rôle de méthodes mixtes, qui combinent des approches quantitatives et qualitatives, pour produire des connaissances sur les inégalités et la manière dont elles sont vécues par les personnes minorisées.

Que signifie pour vous le prix jeune auteur de la revue Population ?

Je suis très touchée, d’abord à titre personnel, d’avoir obtenu ce prix. Cet article sur l’imbrication entre genre et handicap me tenait à cœur car j’y ai consacré beaucoup de temps et l’ai réécrit intégralement à plusieurs reprises, encouragée par mes collègues, avant de le soumettre à Population

De façon plus large, je suis aussi très sensible à ce que ce prix représente pour la reconnaissance de thématiques et de méthodes parfois mésestimées dans la recherche. Notamment, il traduit l’intérêt de la prise en compte du handicap, non seulement dans les revues spécialisées, mais pour les sciences sociales en général. J’y vois aussi une certaine ouverture de la démographie aux approches qualitatives ou mixtes, qui me réjouit.

Référence : 
Célia Bouchet, Quand la division sexuée du travail est entravée : handicap et arrangements conjugaux en France, Population, n° 2/2025 [ENG]