Évolutions des infrastructures de transport franciliennes et mobilités résidentielles des classes sociales au XXe siècle
L’étalement urbain, caractérisé par l’intégration continue de communes périphériques, constitue l’une des transformations majeures de la région parisienne au xxe siècle. Son accélération depuis 1945 liée au développement des infrastructures de transport a accentué la dissociation des lieux de résidence et de travail, et la fragmentation des espaces de vie. À partir du milieu des années 1950, les banlieues se densifient (avec la construction, notamment, de grands ensembles) et le réseau autoroutier s’étend, venant désenclaver ces espaces urbains. Les années 1970 sont marquées par la création des « villes nouvelles », qui s’accompagne du développement du RER et des autoroutes urbaines en banlieue. Quels impacts le développement du maillage de transport a-t-il eus sur les trajectoires géographiques des générations nées entre 1911 et 1950 et sur la redistribution spatiale des différents groupes sociaux ? Dans quelle mesure, les différentes générations et classes sociales ont-elles contribué aux divisions sociales de l’espace francilien que l’on observe au début des années 2000 ?
Pour répondre à ces questions les auteurs ont construit deux catégories :
- Une catégorie géographique à partir de l’offre de transport communale : métro dense (2 stations ou plus par hectare), métro peu dense avec RER, métro peu dense sans RER, RER sans métro, train et voies rapides, train sans voie rapide, voie rapide sans train, aucun réseau (cf. figure).
- Une « catégorie sociale biographique », qui résume la position sociale des personnes en tenant compte de leur origine sociale et de leur trajectoire professionnelle. Elle permet de distinguer les individus en ascension/déclassement social de ceux qui sont restés dans la même classe sociale que leurs parents (cf. figure).
Trois grands résultats peuvent être dégagés :
Des générations qui n’ont pas eu les mêmes opportunités
Au fil des générations, les choix particuliers de localisation renvoient aux contextes vécus, aux contraintes liées à l’offre de logements et aux aspirations résidentielles. Toutes les générations n’ont pas contribué avec la même intensité aux dynamiques centrifuges et aux choix de localisation différenciés entre groupes sociaux. L’analyse des cohortes successives met par exemple en évidence l’effet de la crise du logement et de la rénovation urbaine à Paris sur les choix de localisation en proche banlieue pour certaines générations (1926-1935) ou encore l’impact du développement du RER et de la réforme du logement de 1977 (nouvelles aides à l’accès au logement : PAP, APL) sur le redéploiement en périphérie des générations 1946-1950.
Le lien entre position sociale et accessibilité des lieux de résidence s’est renforcé
La position dans la hiérarchie sociale est corrélée au niveau d’accessibilité des lieux de résidence : les catégories sociales favorisées habitent plus fréquemment dans les lieux les plus accessibles que les catégories sociales les moins favorisées. Au fil des générations, on observe un creusement des écarts d’accessibilité entre catégories aux deux extrêmes de la hiérarchie sociale. L’analyse conjointe des trajectoires géographiques et des trajectoires sociales fait ressortir des différences marquées entre « classes sociales biographiques » : un maintien bien plus important à Paris intra-muros des classes supérieures dont les parents faisaient déjà partie, que pour celles ayant vécu une ascension sociale ; une accession à la propriété dans des espaces de banlieue bien desservis plus fréquente parmi les classes moyenne et supérieure en ascension sociale que parmi celles n’ayant pas connu cette ascension.
Figure : Niveau d’accessibilité des communes de résidence selon l’âge par catégorie sociale et par génération
Sources : Enquêtes de l’Ined : Triple biographie 1981 (3B), Peuplement et dépeuplement de Paris 1986 (PDP) et Biographies et entourage 2001 (BIOENT).
Champ : À chaque âge, seuls les enquêtés présents en Île-de-France sont pris en compte.
Note : La ligne pointillée verticale désigne approximativement l’année 1970 ; elle est utilisée comme référence pour positionner les trajectoires des différentes générations dans leurs contextes ; l’année 1970 a été choisie car elle correspond aux débuts des politiques d’aménagement urbain à l’échelle de la région et du développement du RER.
L’accession à la propriété a accentué les dynamiques ségrégatives
Les générations 1911-1950 ont effectué leurs parcours résidentiels dans des conditions assez exceptionnelles d’ascension sociale et d’élargissement des choix de logement en termes de localisation et de statut d’occupation. Si les classes supérieures de ces générations n’ont globalement pas eu de difficultés à acquérir un logement dans des espaces bien connectés, les classes moyennes et populaires ont été largement contraintes par l’offre de logements et de terrains qui leur étaient accessibles. L’ascension sociale a permis de répondre à leur désir de propriété, notamment dans les espaces pavillonnaires, quitte à s’installer dans des communes peu connectées aux réseaux de transport et à transformer radicalement leur mode de vie.
Source : Guillaume Le Roux, Christophe Imbert, Arnaud Bringé, Catherine Bonvalet, 2020, Transformations sociales de l’agglomération parisienne au cours du XXe siècle : une approche longitudinale et générationnelle des inégalités d’accès à la ville, Population 2020-1.
Contact : Guillaume Le Roux, Christophe Imbert, Arnaud Bringé, Catherine Bonvalet
Mise en ligne : novembre 2020