Les Français·es veulent moins d’enfants
Population et Sociétés
n° 635, juillet-août 2025
https://doi.org/10.3917/popsoc.635.0001
Institut national d’études démographiques (Ined)
Institut national d’études démographiques (Ined)
L’enquête Erfi 2 montre que la baisse de la fécondité est probablement appelée à se prolonger, car le désir d’enfants a diminué chez les moins de 40 ans entre 2005 et 2024. Cette baisse touche tous les groupes sociaux, mais plus fortement les jeunes. Elle tient en partie à la manière dont les individus conçoivent la famille et appréhendent l’avenir. Ainsi, les personnes ayant une conception égalitaire des rôles des femmes et des hommes et celles très inquiètes du changement climatique et des perspectives pour les générations futures souhaitent moins d’enfants.
fécondité, enfants, intentions, normes de genre, inquiétudes, changement climatique, enquêtes Erfi, enquêtes GGS
Table of contents
- Appendix A Références
1.
La fécondité a diminué en France ces dernières années. Cette baisse va-t-elle se prolonger ? Est-ce que les jeunes souhaitent moins d’enfants aujourd’hui ? La conception des rôles des femmes et des hommes et les inquiétudes sur le changement climatique jouent-elles un rôle ? À partir de grandes enquêtes nationales dont une réalisée en 2024, les auteurs analysent le nombre d’enfants souhaités, son évolution et ses déterminants 1.
Comme dans tous les pays d’Europe où elle était proche de 2 enfants par femme dans les années 2000, la fécondité diminue en France : l’indicateur conjoncturel de fécondité est passé de 2,0 enfants par femme en 2014 à 1,6 en 2024 [1]. Cette baisse rapide (20 % en 10 ans) va-t-elle se poursuivre ? Combien d’enfant auront les jeunes adultes d’aujourd’hui ?
1.1. Les femmes nées en 1980 ont eu 2,1 enfants en moyenne
Les femmes nées après 1960 sont devenues adultes après la diffusion de la contraception médicale et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de la décennie 1970. Elles ont eu entre 2,0 et 2,1 enfants au cours de leur vie. Ce chiffre, appelé descendance finale des générations (figure 1), est le nombre moyen d’enfants que chaque femme a eus au cours de sa vie. La descendance finale a légèrement augmenté pour les générations suivantes nées entre 1970 et 1980. Les femmes nées en 1980 ont ainsi eu 2,1 enfants en moyenne. Pour estimer le nombre final d’enfants des femmes nées après 1985 (et qui ont donc moins de 40 ans aujourd’hui), il est nécessaire d’imaginer ce que sera leur fécondité à l’avenir, pendant les dernières années de leur vie féconde.
1.2. Le nombre idéal d’enfants dans une famille et le nombre d’enfants souhaités diminuent
L’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi 2), une enquête menée par l’Ined en 2024 2, apporte des éléments d’information sur les représentations de la famille à travers des questions sur « le nombre idéal d’enfants dans une famille » et, plus concrètement, sur le nombre d’enfants que les femmes et les hommes ont l’intention d’avoir au cours de leur vie, appelé nombre d’enfants souhaités, qui inclut ceux déjà eus (voir l’encadré pour la formulation précise des questions). La comparaison avec des questions quasi identiques posées en 1998 et en 2005 permet de décrire l’évolution depuis 25 ans.
En 2024 comme en 1998 [2], les réponses quant au nombre idéal d’enfants dans une famille varient peu selon l’âge, mais on constate une diminution importante en 25 ans : de 2,7 à 2,3 enfants en moyenne (figure 1, où les réponses sont ordonnées selon l’année de naissance des femmes).
Le nombre d’enfants souhaités par les femmes est, en 2024, nettement plus faible que le nombre idéal d’enfants dans une famille : les femmes âgées de 18 à 24 ans souhaitent avoir 1,9 enfant en moyenne, celles de 25 à 34 ans en souhaitent 2 (figure 1). Le souhait ne correspond pas forcément à la réalité. Ainsi, en 2005, le nombre d’enfants souhaités par les femmes nées dans les années 1970, alors âgées de 25 à 34 ans, dépassait de 0,5 enfant en moyenne le nombre d’enfants qu’elles ont finalement eus. La baisse du nombre d’enfants souhaités entre 2005 et 2024, de 0,6 enfant pour les femmes de moins de 30 ans, laisse donc présager une diminution de la descendance finale pour les générations nées après 1985, même si l’écart entre intentions et réalisation se réduit.
Pour prendre la mesure des incertitudes concernant la descendance finale des femmes âgées aujourd’hui de moins de 45 ans, nous avons réalisé une série de projections de la fécondité selon l’âge en utilisant des hypothèses très contrastées : évolution de l’indice conjoncturel de fécondité à différents niveaux allant de 1,2 à 2,0 enfants par femme en 2035 et constant ensuite, poursuite ou non de la hausse de l’âge moyen à la fécondité (voir annexe en ligne). Dans tous les scénarios, les femmes nées après 1985 ont moins d’enfants que les générations précédentes : la descendance finale varie entre 1,8 et 2,0 enfants pour la génération 1990, et entre 1,6 et 1,9 pour la génération 1995 (âgée de 30 ans en 2025). Ces projections (figure 1) sont cohérentes avec la baisse des intentions de fécondité et du nombre idéal d’enfants. Pour les femmes plus jeunes, l’avenir est plus ouvert : les femmes nées dans les années 2000 pourraient avoir entre 1,4 et 2,0 enfants, probablement environ 1,6 enfant en moyenne.
La diminution de la taille moyenne des familles, qu’elle soit idéale, souhaitée ou effective, traduit le moindre attrait pour les familles nombreuses et leur raréfaction, entamée de longue date, ainsi qu’une augmentation récente des familles à enfant unique et des personnes sans enfant. Le modèle de la famille à 2 enfants se diffuse : tous âges confondus entre 18 et 49 ans, deux tiers (65 %) des femmes et des hommes considèrent 2 comme le nombre idéal d’enfants dans une famille, contre moins de la moitié (47 %) en 1998. Les réponses « 3 ou plus » deviennent minoritaires (29 % en 2024, contre 50 % en 1998), tandis que les réponses « 0 ou 1 » augmentent mais restent rares : en 2024, seul·es 6 % des répondant·es déclarent un nombre idéal d’enfants inférieur à 2 (figure 2). Les intentions de fécondité suivent la même évolution que les réponses sur le nombre idéal d’enfants : légère hausse des réponses « 2 enfants », de 44 % à 46 % entre 2005 et 2024, et forte hausse des personnes ne souhaitant pas d’enfants (de 6 % à 12 %) ou un seul (de 12 % à 18 %), au détriment des intentions d’avoir trois enfants ou plus : de 38 % à 23 % (figure 2).
1.3. Les jeunes veulent des familles plus réduites ou sont plus incertain·es
La baisse des intentions de fécondité est beaucoup plus marquée pour les jeunes adultes de moins de 30 ans : le nombre total d’enfants souhaités a diminué de 0,6 enfant en moyenne en 20 ans. Il est passé de 2,5 à 1,9 enfant souhaité pour les femmes et de 2,3 à 1,8 pour les hommes. Comme pour l’ensemble des adultes, la moitié des jeunes de 18 à 29 ans envisagent d’avoir exactement 2 enfants, mais les réponses « 0 ou 1 » dépassent désormais les réponses « 3 ou plus », ce qui était l’inverse en 2005 (figure 3). C’est vrai chez les femmes (27 % contre 22 %) et encore plus chez les hommes (35 % contre 15 %). La norme de famille à 2 enfants, si elle reste très marquée, est maintenant considérée par les jeunes plutôt comme un maximum, et non plus comme un minimum.
Par ailleurs, la proportion de jeunes adultes qui sont incertain·es quant au fait de savoir s’ils ou elles veulent avoir des enfants est élevée : parmi les personnes sans enfant, 17 % des moins de 25 ans et 20 % des 25-29 ans hésitent sur la réponse à apporter à la question (figure 4). La naissance éventuelle d’un premier enfant s’inscrit dans un ensemble de futurs possibles dont beaucoup (vie de couple, résidence, emploi, autres activités) sont encore ouverts avant 35 ans.
1.4. Une conception égalitaire des rôles de genre associée à de moindres intentions de fécondité
Parmi les personnes de 25 à 39 ans, soit les âges auxquels la plupart des parents ont des enfants, les intentions de fécondité ont diminué dans tous les groupes sociaux, quels que soient le sexe, l’âge, le pays de naissance, le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau de vie (annexe en ligne). Les déterminants sont largement les mêmes en 2005 et en 2024. À caractéristiques sociodémographiques comparables, les personnes les plus diplômées souhaitent un peu plus d’enfants (0,3 de plus que celles sans diplôme en 2024), de même que celles nées au Maghreb (0,3 de plus que celles nées en France) ou en Afrique subsaharienne (0,7 de plus). Ni le sexe, ni la catégorie socioprofessionnelle, ni le niveau de vie ne font de différence.
L’effet des attitudes et opinions a, en revanche, pris de l’importance. En 2024, les répondant·es, quel que soit leur sexe, qui ont une conception égalitaire des rôles des femmes et des hommes dans la société ont des intentions de fécondité plus faibles, alors que cette opinion n’avait aucun effet en 2005 (annexe en ligne, tableaux A2 et A3). Ainsi, en 2024, à caractéristiques sociodémographiques égales, parmi celles et ceux qui pensent que la politique, les études ou l’emploi sont plus importants pour les hommes, alors que les femmes s’occupent mieux du foyer et des enfants, 47 % ont probablement ou certainement l’intention d’avoir un enfant (ou un enfant supplémentaire), contre 38 % de celles et ceux qui considèrent que ces domaines sont aussi importants pour les deux sexes. Cependant, cette opinion est associée à un nombre d’enfants souhaités plus élevé uniquement pour les hommes (0,3 enfant de plus). Les femmes avec la même opinion anticipent sans doute davantage la charge que les enfants représenteront pour elles [4].
1.5. De fortes inquiétudes quant à l’avenir
L’incertitude croissante concernant l’avenir est souvent avancée pour expliquer la diminution récente de la fécondité en Europe. Au-delà de la conjoncture économique, de nouvelles sources de préoccupation sont apparues au cours de la dernière décennie dont les effets sur les intentions de fécondité restent débattus [5]. Nous rapprochons quatre de ces possibles inquiétudes des intentions d’avoir des enfants en 2024, sans que ce lien soit nécessairement présent à l’esprit des personnes ayant répondu à l’enquête : le changement climatique, la crise économique, l’affaiblissement de la démocratie, et – de manière plus globale – les perspectives pour les générations futures. Quel que soit le phénomène considéré, près de la moitié des personnes de 25-39 ans se disent « très » inquiètes. Seule une petite minorité (moins de 15 %) se dit « pas très » ou « pas du tout » inquiète.
1.6. Les personnes inquiètes souhaitent moins d’enfants
À caractéristiques égales (figure 5 et encadré), 35 % des personnes de 25-39 ans très inquiètes des perspectives pour les générations futures comptent « probablement » ou « certainement » avoir un enfant (ou un enfant supplémentaire) contre 46 % des personnes moins inquiètes. Elles souhaitent aussi 0,11 enfant de moins. Les moindres intentions se retrouvent, de manière un peu moins marquée, en ce qui concerne le changement climatique et l’affaiblissement de la démocratie (36 % contre 43 % dans les deux cas). La très forte inquiétude quant au changement climatique est associée à un nombre d’enfants souhaités un peu plus faible (0,08 en moins). En revanche, on ne relève aucune différence selon le degré d’inquiétude concernant la crise économique.
Les personnes de moins de 25 ans ne sont pas plus inquiètes que leurs aînées, et l’effet des inquiétudes sur les intentions de fécondité se retrouve de manière similaire chez elles et les personnes plus âgées, pour les personnes avec et sans enfant (annexe en ligne, figure A5).
***
La baisse de la fécondité observée ces dernières années semble destinée à se poursuivre. Cependant, l’indice conjoncturel de fécondité de la France restera vraisemblablement supérieur à la moyenne européenne actuelle de 1,4 enfant par femme. Les intentions d’avoir des enfants et le nombre d’enfants souhaités diminuent dans l’ensemble des groupes sociaux. Cette baisse est liée à des évolutions récentes dans la manière dont les individus conçoivent la famille et appréhendent l’avenir, en lien notamment avec la crise environnementale. Mais ce n’est sans doute qu’une partie de l’explication [6]. La baisse des intentions d’avoir des enfants tient à des tendances plus larges qui traversent la société dans son ensemble.
1.6.1. Encadré. L’enquête Erfi 2
L’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi 2, https://erfi2.site.ined.fr) a été conduite par l’Ined par téléphone et Internet en 2024 auprès d’un échantillon représentatif de 12 800 hommes et femmes âgé·es de 18 à 79 ans résidant en logement ordinaire en France hexagonale. Le questionnaire d’environ une heure portait sur l’histoire conjugale et familiale, les relations avec ses parents et ses enfants, les rôles de genre, les intentions de fécondité, etc. Erfi 2 est la déclinaison française du programme international Générations et Genre (GGP, https://www.ggp-i.org), qui réalise cette enquête (GGS) dans une vingtaine de pays.
La question sur le nombre idéal d’enfants est en 1998 : « D’après vous, quel est le nombre idéal d’enfants dans une famille ? » (enquête Intentions de Fécondité, Ined) et en 2024 : « De manière générale, quel est selon vous le nombre d’enfants idéal pour une famille ? » Les intentions de fécondité sont recueillies, en 2005 (première édition de l’enquête Erfi) comme en 2024, après une série de questions sur le nombre d’enfants déjà nés ou adoptés : d’abord les intentions d’avoir un enfant, et enfin la question « Combien d’enfants supplémentaires comptez-vous avoir, en incluant à la fois les enfants biologiques et les enfants adoptés ? ». Les beaux-enfants (enfants du ou de la conjoint·e ou d’un·e ancien·ne conjoint·e) ne sont pas comptés ici.
L’effet des normes de genre et des inquiétudes sur les intentions de fécondité est estimé à l’aide de régressions contrôlant le mode de réponse à l’enquête (par Internet ou téléphone), le sexe, l’âge, le fait d’être en couple, le nombre d’enfants déjà eus, le pays de naissance, le diplôme, la situation professionnelle, la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de vie. La formulation des questions, la construction des variables, les résultats détaillés des modèles, ainsi que les résultats sur le champ des jeunes et des personnes sans enfant séparément par sexe sont disponibles dans l’annexe en ligne . Les effets commentés sont statistiquement significatifs au seuil de 5 %.
Appendix A Références
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[1] Thélot H. 2025. Bilan démographique 2024 : En 2024, la fécondité continue de diminuer, l’espérance de vie se stabilise. Insee première, 2033. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8327319
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[2] Toulemon L., Leridon H. 1999 (juin). La famille idéale : combien d’enfants, à quel âge ? Insee première, 652. https://www.bnsp.insee.fr/ark:/12148/bc6p0702dg1/f1.pdf
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[3] Algava E., Blanpain N. 2021. 68,1 millions d’habitants en 2070 : Une population un peu plus nombreuse qu’en 2021, mais plus âgée. Insee première, 1881. https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893969
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[4] Cartier M., Collet A., Czerny E., Gilbert P., Lechien M.-H., Monchatre S., Noûs C. 2021. Allez, les pères ! Les conditions de l’engagement des hommes dans le travail domestique et parental. Travail, genre et sociétés, 46(2), 33-53. https://doi.org/10.3917/tgs.046.0033
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[5] Jylhä K. M., Kolk M., Fairbrother M. 2024. Attitudes towards childbearing, population, and the environment: Examining prevalence and demographic and psychological correlates. Stockholm Research Reports in Demography, 2024(41). https://doi.org/10.17045/sthlmuni.26926999.v1
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[6] Veaux C., Roux S. 2023. L’écologie en plus. Des justifications environnementales de la non-procréation. VertigO, 23(2). https://doi.org/10.4000/vertigo.41014
Données des figures et tableaux disponibles au format Excel dans l’onglet « Documents associés » sur la page du bulletin sur www.ined.fr.
Cet article se réfère à une annexe en ligne disponible sur : https://doi.org/10.34847/nkl.bed29126
Erfi 2 fait partie de l’infrastructure de recherche LifeObs (France 2030, ANR-21-ESRE-0037) portée par l’Ined, et a bénéficié de financements du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ainsi que de la Caisse nationale d’allocations familiales. L’équipe de l’enquête est composée, en plus des deux auteurs, de Ruxandra Breda-Popa, Paul Cochet et Efi Markou (service des enquêtes et sondages de l’Ined).
L’enquête Erfi 2 montre que la baisse de la fécondité est probablement appelée à se prolonger, car le désir d’enfants a diminué chez les moins de 40 ans entre 2005 et 2024. Cette baisse touche tous les groupes sociaux, mais plus fortement les jeunes. Elle tient en partie à la manière dont les individus conçoivent la famille et appréhendent l’avenir. Ainsi, les personnes ayant une conception égalitaire des rôles des femmes et des hommes et celles très inquiètes du changement climatique et des perspectives pour les générations futures souhaitent moins d’enfants.
Milan Bouchet-Valat - Institut national d’études démographiques (Ined)
Laurent Toulemon - Institut national d’études démographiques (Ined)
Citer l’article
Milan Bouchet-Valat, Laurent Toulemon (2025). Les Français·es veulent moins d’enfants, Population & Sociétés, n° 635. https://doi.org/10.3917/popsoc.635.0001