La ségrégation socio-ethnique : dynamiques et conséquences

le Mercredi 13 Juin 2012 à l’Ined, salle Sauvy

Séminaire de l’Unité Migrations Internationales et Minorité Les dimensions spatiales de l’incorporation des minorités Organisateur : Jean-Louis Pan Ké Shon et Patrick Simon
Inscription obligatoire avant le 11 juin

Jean-Louis Pan Ké Shon (Ined), Gregory Verdugo (Banque de France).
Quarante ans de ségrégation et... d’incorporation des immigrés en France, 1968-2007

Le paysage ségrégatif des immigrés en France de 1968 à 2007 est établi précisément grâce à l’utilisation inédite des données infra communales de la série des 6 recensements. Nous montrons que le remplacement des parts de l’immigration latine par l’immigration africaine et maghrébine s’est déroulé à des périodes économiques moins favorables pour ces derniers et par une durée d’intégration plus courte expliquant au moins une part des écarts ségrégatifs. Malgré cela, l’intensité de la ségrégation française a baissé depuis la fin des années 1960. L’augmentation de la part des immigrés dans la population s’est traduite par une progression de leur présence dans les quartiers populaires. En multipliant les approches, l’étude permet de conclure à l’absence de quartiers mono-ethniques et d’auto-ségrégation aussi bien au niveau des origines nationales que « géoculturelles ». Actuellement, la concentration spatiale des migrants est relativement faible mais les évolutions temporelles sont parfois contradictoires entre agglomérations urbaines. Les « quartiers dont on parle » sont situés à l’extrémité de la distribution des quartiers polarisés et masquent l’incorporation résidentielle de la très grande majorité des migrants en France.

 

Jean-Louis Pan Ké Shon (Ined), Loïc Wacquant (Université de Californie-Berkeley et CESSP-Paris).
Le grand hiatus : tableau raisonné de la ségrégation ethnique en Europe

Cet article présente un tableau analytique et empirique raisonné des principales études quantitatives sur la ségrégation ethnonationale en Europe occidentale conduites depuis deux décennies. Au plan analytique, nous distinguons l’ampleur de la ségrégation de son intensité, marquons la différence entre stocks et flux, et soulignons l’entremêlement des déterminants sociaux et ethniques des trajectoires résidentielles. Au plan empirique, nous montrons que, partout, la ségrégation résidentielle selon la nationalité des immigrés recule depuis vingt à quarante ans et s’explique pour une large part par la composition de classe relativement basse des migrants d’origine postcoloniale. Partout, y compris en France, les immigrés ont des trajectoires résidentielles ascendantes et dispersantes qui témoignent d’une incorporation contrariée mais réelle dans la structure sociale nationale. Au total, ce panorama analytique et empirique révèle un gouffre béant entre le discours dominant, tant politique que savant, qui s’alarme d’une progression subite et généralisée de la ségrégation ethnique et il invalide la thèse de la "ghettoïsation" des quartiers déshérités de la ville européenne. Nous pointons les facteurs qui expliquent ce hiatus saisissant, parmi lesquels l’effacement des forces politiques porteuses d’une vision et d’un langage de classe, les transformations du champ journalistique et l’émergence de quartiers atypiques qui servent de "points hypnotiques" dans le débat public.

 

Didier Lapeyronnie (Université Sorbonne- Paris IV et Cadis)
Ségrégation, quartiers et ghettoïsation

Dans les années récentes, un certain nombre de quartiers populaires ont évolué vers une forme d’isolement urbain couplée à l’affirmation d’une organisation sociale interne. Ce phénomène de ghettoïsation progressive repose sur la combinaison de facteurs sociaux, la pauvreté, et de facteurs « raciaux » et de genre. Une partie de la population, subissant discrimination et ségrégation, construit un « contre monde », avec son économie, ses normes et ses instances de régulation, contre-monde fondé sur l’articulation de la race et du sexe et fonctionnant dans une dialectique continue entre l’intérieur et l’extérieur. A la fois protection collective et handicap individuel, le ghetto ainsi constitué produit des conduites sociales marquées par une profonde ambivalence.

 

Marwan Mohammed (CNRS, CMH)
Ségrégations, scolarités, sociabilités : la matrice sociale des bandes de jeunes

Le phénomène des bandes illustre parfaitement comment le séparatisme social et scolaire conditionne la formation des groupes de pairs à l’adolescence.
Tout d’abord les bandes de jeunes n’apparaissent pas n’importe où sur le territoire national, elles représentent un style de vie propre aux milieux populaires.
Au sein de ces derniers, les bandes n’attirent pas n’importe quels élèves : elles recrutent au "fond de la classe" au sein d’établissements exposés aux
turbulences scolaires. A partir d’une enquête dans une commune de la région parisienne, nus montrerons que le peuplement du quartier et la trajectoire
résidentielle des familles de l’enquête renvoient à des mécanismes inégalitaires (tensions nord-sud et immigration récente) et ségrégatifs (embourgeoisement
de Paris, gentrification) plus larges. Aussi, nous défendrons que d’un point de vue théorique, les intuitions "écologiques" de la première Ecole de Chicago,
en liant l’analyse des déviances aux dynamiques locales et globales des territoires, gardent une réelle portée heuristique.

Cécile Braconnier (Université de Cergy-Pontoise)
Une décennie de mobilisation/démobilisation électorale dans les quartiers populaires (2002-2012)

Ce papier propose d’éclairer les logiques de la mobilisation/démobilisation électorale contemporaine dans les quartiers populaires. En prenant appui sur l’analyse des listes d’émargement d’un bureau de vote de Saint-Denis étudié en profondeur depuis le tournant des années 2000, nous montrerons que la diffusion de l’intermittence électorale oblige à renouveler les modèles d’analyse du vote de façon à mieux prendre en compte le poids respectifs des facteurs structurels et conjoncturels de la participation. Car si les déterminants sociaux sont toujours aussi forts, qui prédisposent certaines catégories de la population à se rendre aux urnes et d’autres à demeurer loin d’elles, les caractéristiques des campagnes expliquent également que ces dernières se mobilisent plus ou moins. Dans les quartiers populaires dont la population cumule, à l’échelle individuelle, les caractéristiques qui prédisposent à l’abstention - elle est plus jeune, moins diplômée, plus au chômage que la population française dans son ensemble - on enregistre au cours de la dernière décennie des records historiques d’abstention mais aussi des vagues de très forte mobilisation, parfois à quelques semaines d’intervalle. Les caractéristiques de l’offre - plus ou moins clivée, avec une capacité inégalement partagée par les candidats à incarner une promesse de changement - comptent pour mobiliser les plus désenchantés, les plus sceptiques et les plus éloignés de la politique. L’intensité médiatique de la campagne mais également les supports de sa diffusion jouent un rôle décisif. Comme les dispositifs informels de mobilisation qui accélèrent et diffractent sa capacité mobilisatrice jusqu’à faire, pour partie, les chiffres de la participation aux présidentielles. L’étape décisive de l’inscription, selon qu’elle est ou non intégrée dans les dispositifs de campagne, dessine également très tôt un contexte plus ou moins favorable au vote des moins prédisposés à participer.