Enquête Sans Domicile : l’exclusion liée au logement touche majoritairement les migrants et descendants d’immigrés
Communiqué Publié le 05 Juillet 2018
Selon la dernière enquête Sans-Domicile menée par l’Insee et l’Ined en 2012, les migrants et descendants d’immigrés représentent la majorité des personnes privées de logement personnel en France. L’analyse de Pascale Dietrich-Ragon, chargée de recherche à l’Ined, montre que les personnes sans domicile issues de l’immigration sont défavorisées dans le système de prise en charge institutionnel quel que soit le temps passé en France. Les hommes présentent plus de risques d’être laissés dans la rue et les femmes tendent à être reléguées dans les dispositifs d’urgence, moins favorables à l’insertion.
L’enquête Sans Domicile a été réalisée en 2012 en France auprès des utilisateurs de services d’hébergement (insertion, stabilisation ou urgence) et de distribution de repas. Les résultats présentés ici s’appuient sur l’analyse des réponses de 3 804 personnes privées de domicile personnel la nuit précédant l’enquête. Si l’on distingue trois groupes selon leur origine – les personnes nées en France et dont les deux parents sont nés en France ou dans les Outremers, appelées « population majoritaire », les migrants et les descendants d’immigrés –, il est frappant de constater que les personnes issues de l’immigration sont les plus nombreuses parmi les personnes privées de logement : les migrants représentent 40 % de cette population et les descendants d’immigrés 19 % (alors qu’ils représentent respectivement 10 % et 12 % de la population résidant en France).
Le fait d’être né à l’étranger influence la qualité de l’hébergement et donc les perspectives d’insertion
La plupart des migrants enquêtés rencontrent des difficultés pour accéder à un premier toit sur le territoire français et n’ont donc jamais été logés. Les migrants ont une plus faible probabilité de déposer une demande de logement que les enquêtés de la population majoritaire du fait de difficultés linguistiques, d’une moins bonne connaissance du système et d’un faible sentiment de légitimité à exercer ce droit. Si les migrants sans domicile sont mieux insérés sur le marché de l’emploi (25 % travaillent contre 19 % des enquêtés de la population majoritaire), ils sont en proportion moins pris en charge par les dispositifs sociaux d’aide au logement : les hommes issus de l’immigration ont un risque supérieur d’être exclus de toute prise en charge, c’est-à-dire de passer la nuit dans la rue, et les femmes d’être reléguées dans les structures d’accueil les moins favorables.
Une grande majorité (66 %) des migrants n’ayant jamais eu de logement personnel en France sont arrivés depuis plus de trois mois. D’origines géographiques diversifiées, près de la moitié sont des femmes dont les deux tiers vivent avec des enfants. Ils sont mieux dotés socialement dès le pays d’origine que les migrants nouvellement arrivés en France (moindre précarité dans l’enfance, niveau d’étude plus important). Si leur précarité résidentielle tend à devenir chronique (57 % déclarent avoir déjà dormi dans la rue et 94 % dans un centre d’hébergement), une grande partie accède néanmoins à un hébergement de plus long terme et de meilleure qualité que les migrants nouvellement arrivés en France. Ainsi, beaucoup ont gravi une marche dans le système de l’hébergement. Pour autant, il semble qu’un effet de sélection agisse : les migrants les plus précarisés disparaissent du champ d’étude en quittant le territoire ou en ne sollicitant plus les services d’aide.
Une minorité (5 %) des migrants qui n’ont jamais eu de logement personnel en France sont arrivés depuis moins de trois mois. Il s’agit essentiellement d’hommes seuls en grande précarité et disposant d’un niveau d’étude inférieur au baccalauréat. Fuyant des situations difficiles (zones de conflit et/ou violences subies), ils se retrouvent particulièrement isolés : seuls 12 % sont hébergés par des tiers et rares sont ceux qui ont la possibilité d’être hébergés ponctuellement par la famille. Leur situation précaire est également marquée par l’absence de travail comme de ressources (21 % sont contraints de recourir à la mendicité) et par des difficultés de communication. L’attention institutionnelle favorisant les familles, ils sont fréquemment exclus de la prise en charge institutionnelle ou bénéficient de l’assistance la moins favorable : 30 % d’entre eux ont dormi dans la rue la nuit précédant l’enquête, ceux qui ont disposé d’un hébergement ont eu accès aux centres qui offrent les conditions d’accueil les plus précaires. Cela induit un plus faible accompagnement des travailleurs sociaux, pourtant garants d’un meilleur recours au droit. Leurs perspectives d’intégration sont donc très faibles à court terme.
Arrivés en France depuis de nombreuses années, les migrants qui ont déjà été logés et ont perdu leur logement ont grandi dans un milieu relativement favorisé, disposant de ressources facilitant à un moment donné leur insertion socioéconomique. Leurs parcours tendent à se rapprocher de ceux des personnes de la population majoritaire sans domicile. Comme elles, ils ont connu des ruptures conjugales et professionnelles qui les ont déstabilisés sur le plan résidentiel. La souffrance qui en résulte peut s’accompagner de comportements autodestructeurs : trajectoires déviantes plus fréquentes, problèmes psychiatriques pour les hommes, comportements suicidaires pour les femmes. D’autant plus que les prises en charge institutionnelles restent moins favorables par rapport aux enquêtés de la population majoritaire. Ainsi, 17 % sont hébergés à l’hôtel (5 % dans la population majoritaire) et 11 % sont dans la rue (6 % dans le second cas).
Descendants d’immigrés : du délitement familial à la privation de logement personnel
Les parcours des descendants d’immigrés sans logement sont davantage marqués par les problèmes familiaux. Confrontés à une plus grande précarité économique de leur milieu d’origine et à la prégnance des problèmes familiaux pendant leur enfance (maladies, conflits), ils sont poussés à décohabiter très jeunes et se trouvent privés d’une protection familiale décisive. Particulièrement touchés, les hommes sont frappés par une précarité financière extrême : 16 % sont contraints de pratiquer la mendicité (7 % chez les hommes enquêtés de la population majoritaire). Si les descendants d’immigrés sont plus à l’aise avec l’administration que les migrants et sollicitent davantage les institutions afin d’obtenir une aide, leurs conditions d’hébergement sont moins bonnes que celles de la population majoritaire. Les hommes se retrouvent plus fréquemment à la rue ou dans des centres qu’il faut quitter le matin et les femmes accèdent dans une moindre mesure à des logements fournis par les institutions.
Contact chercheur :
Pascale DIETRICH-RAGON, Tél. +33 (0)1 56 06 43 29 - Courriel : pascale.dietrich @ ined.fr