Le multiculturalisme canadien au prisme de la statistique officielle. Ou comment le bureau statistique traduit la diversité et le subjectif
Présenté par : Jean-Pierre Beaud (CIRST (UQAM)) ; Discutante : Morgane Labbé (ESOPP (EHESS))
Résumé
Il y a cinquante ans, le Canada était le premier pays à adopter une politique officielle sur le multiculturalisme. Comme le déclarait le Premier ministre de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, « Bien qu’il y ait deux langues officielles [au Canada], il n’y a aucune culture officielle ». La Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982 (et qui constitue la première partie de la Loi constitutionnelle), pose que« Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». La politique sur le multiculturalisme est allée en se complexifiant; la loi sur l’équité en matière d’emploi de 1995 implique ainsi que des données soient collectées, par l’entremise du recensement, sur les minorités visibles, conduisant à l’élaboration d’une classification mêlant sciemment des critères géographiques, raciaux, ethniques ou autres. Statistique Canada, qui prend le relai du Bureau fédéral de la statistique il y a également cinquante ans, est appelé en tant que bureau officiel de statistique à collecter des données d’ordre démographique sur la diversité de la population canadienne. Les Canadiens, produits et acteurs de ces politiques multiculturelles, seront donc régulièrement sollicités, au travers des enquêtes statistiques, pour que le portrait de la « mosaïque canadienne » soit le plus précis et respectueux possible. Avec le temps, la diversité de la population du pays s’est à la fois objectivement accrue, du fait des flux migratoires, mais aussi subjectivement modifiée, du fait de nouvelles modalités d’identification (et surtout d’une plus grande possibilité d’auto-identification). La conférence portera sur ce processus complexe de traduction statistique des politiques et pratiques multiculturelles au Canada de 1971 à aujourd’hui. Nous tenterons d’ignorer ni l’effet en retour des pratiques statistiques, ni les résistances (au Québec principalement) à l’endroit du multiculturalisme.
Biographie de Jean-Pierre Beaud
Jean-Pierre Beaud (Ph. D. science politique, Université Laval, Québec) est professeur au Département de science politique et chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (Université du Québec à Montréal). Ses travaux portent sur la sociohistoire de la statistique au Canada. Il a publié dans de nombreuses revues et est l’auteur avec J-G Prévost de Statistics, Public Debate and the State, 1800-1945 : A Social, Political and Intellectual History of Numbers, Routledge, 2016. La révolution des nombres. Recensement et statistique au Canada (1666-2021) est en cours de rédaction. Il a également occupé de nombreuses fonctions administratives au sein de son institution, en particulier à titre de Doyen de la Faculté de science politique et de droit.