Population 2002 n° 6
2002
- Démographie et politique dans les premiers recensements post-soviétiques : méfiance envers l’État, identités en question. Arel Dominique.
- Paléodémographie et démographie historique en contexte épidémique : la peste en Provence au XVIIIe siècle. Signoli Michel, Séguy Isabelle, Biraben Jean-Noël, Dutour Olivier.
- L’échec politique d’une théorie économique : la physiocratie. Charbit Yves.
- Le choc du veuvage à l’orée de la vieillesse : vécus masculin et féminin. Delbès Christiane, Gaymu Joëlle.
Note de recherche
- La pratique de la naturalisation en Suisse : un aperçu statistique. P. Wanner, É. Piguet
Bibliographie critique
Démographie et politique dans les premiers recensements post-soviétiques : méfiance envers l’État, identités en question
Arel Dominique
Les premiers recensements de l’époque post-soviétique ont engendré de nouveaux défis politiques pour les responsables des recensements de Russie, d’Ukraine, de Biélorussie, du Kazakhstan et des pays baltes. Trois questions étaient au premier plan : la migration, la confidentialité et la nationalité ethnique. L’effectif de la population a officiellement baissé dans tous les pays issus de l’Union soviétique, mais l’incapacité et le manque de volonté de l’État russe d’enregistrer la migration non officielle font que le déclin démographique y est trompeur. Une méfiance générale envers l’État a rendu les individus sceptiques quant aux garanties de confidentialité des données du recensement. Cette méfiance est particulièrement forte en Russie et le recensement a mis en évidence un État post-autoritaire indécis sur la façon d’approcher sa propre population. À la différence des recensements occidentaux, les recensements post-soviétiques ont tous conservé une question sur la nationalité ethnique, car la nationalité légitime leur souveraineté. Le recensement kazakh avait pour but de produire des majorités d’ethnie kazakhe, au niveau national comme dans les provinces redécoupées à cette fin.
La Fédération russe, seule fédération au monde à associer ethnicité et territoire, a dû faire face à une pléthore de revendications pour la reconnaissance de nouvelles nationalités lors du recensement, dont celles des Cosaques. En ce qui concerne la langue, les recensements des pays baltes et de l’Ukraine ont cherché à minimiser le poids du russe, tandis que le recensement biélorusse visait à obtenir une sous-déclaration de la connaissance du biélorusse. Cet article montre que tous ces débats autour des catégories du recensement sont le reflet d’intérêts politiques.
INED, Population n° 6, 2002 - page 791
Paléodémographie et démographie historique en contexte épidémique : la peste en Provence au XVIIIe siècle
Signoli Michel, Séguy Isabelle, Biraben Jean-Noël, Dutour Olivier
Cet article apporte un éclairage totalement nouveau à l’étude de la peste grâce aux apports de disciplines qui ne se rencontrent que rarement autour d’un même sujet de recherche : anthropologie, archéologie, démographie historique, histoire, microbiologie et paléodémographie. Il confronte deux types de documents : les archives biologiques (les squelettes) et les archives historiques, dont la mise en parallèle a apporté des informations originales et inédites.
La répartition des victimes par sexe, par âge et selon l’intensité de la phase épidémique a pu être établie et comparée à des résultats antérieurs. La répartition des décès par peste selon l’âge diffère des profils de mortalité " naturelle " et de ceux résultant d’autres épidémies ou d’autres crises démographiques. On peut qualifier l’épidémie de peste de " non sélective ", l’échantillon bio- ou paléodémographique pouvant être tenu comme un reflet de la structure de la population vivante, cas de figure qui est rarement observé.
Les résultats que nous présentons concernent une période récente pour laquelle les archives historiques sont d’une richesse exceptionnelle, ce qui nous offre une très bonne connaissance des épidémies de peste modernes. Les résultats obtenus en anthropologie de terrain et en microbiologie nous permettent d’envisager des recherches similaires sur des épidémies plus anciennes, même en l’absence de documents écrits.
INED, Population n° 6, 2002 - page 821
L’échec politique d’une théorie économique : la physiocratie
Charbit Yves
La physiocratie, le " gouvernement de la nature ", qui voit dans l’agriculture la source exclusive de la richesse, est la première théorisation des relations entre économie et population. La place accordée à l’agriculture permet de comprendre la théorie de population : la population est une variable dépendante et diverses implications s’en déduisent quant au luxe, à la liberté du commerce, au système d’imposition, aux armées.
Le " mouvement physiocratique " échoue pourtant à faire prévaloir son système et son échec politique est indissociable de la construction théorique : sa stratégie de développement était peu convaincante au regard d’autres possibilités, en particulier le commerce colonial ; il fut piégé par l’amalgame qui fut fait avec la peur des famines ; il s’enferma dans des contradictions insolubles entre rigueur de la théorie économique et pression des enjeux politiques. D’où son isolement à peu près total.
INED, Population n° 6, 2002 - page 849
Le choc du veuvage à l’orée de la vieillesse : vécus masculin et féminin
Delbès Christiane, Gaymu Joëlle
Aujourd’hui, en France, près de 4 millions de personnes sont veuves. Cette situation conjugale est la marque des plus âgés mais c’est aussi celle des femmes : 84 % des veufs sont des veuves !
Cette étude longitudinale décrit le contexte de survenue du veuvage, entre 62 et 75 ans, et la réorganisation de la vie qui y fait suite, sur fond de comparaison entre les enquêtés restés mariés et ceux qui sont devenus veufs. Elle montre en quoi l’adaptation au veuvage s’avère plus ou moins difficile selon que l’on est homme ou femme. Les domaines essentiels de la vie des retraités, la famille et les loisirs, sont examinés. Une large part de cette recherche est également consacrée aux répercussions psychologiques de cet événement.
Tous les indicateurs concourent à qualifier le quotidien des veuves de plus difficile. Elles ont une perception de la vie et de la retraite plus négatives, souffrent plus de solitude et sont plus sujettes à des tendances dépressives. Leur moindre intégration à l’univers des loisirs et leur plus fort isolement social montrent encore à quel point elles sont pénalisées.
Si la surmortalité des hommes suite au veuvage est beaucoup plus forte que celle des femmes, ceux qui ont échappé à la mort semblent mieux s’adapter à la perte de leur conjoint
INED, Population n° 6, 2002 - page 879
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