Population 2022, n°1
2022
La périurbanisation de la pauvreté : politique de soutien à la propriété et inégalités socio-spatiales en France
Laurent Gobillon, Anne Lambert, Sandra Pellet
Les indicateurs de pauvreté monétaire dans les recherches féministes : bilan, état des lieux et perspectives
Irène Berthonnet
Le renoncement aux soins des chômeurs en France
Iñaki Blanco-Cazeaux, Liliana Patricia Calderón Bernal, Justine Chaput, Marika Gautron, Inès Malroux, Guerschom Mugisho, Aurélien Dasré, Julie Pannetier
Les évolutions de l’activité et de l’emploi en France au fil des générations
Henri Martin
La périurbanisation de la pauvreté : politique de soutien à la propriété et inégalités socio-spatiales en France
Laurent Gobillon, Anne Lambert, Sandra Pellet
Cet article examine le rôle joué par les prêts aidés dans l’accès à la propriété et la ségrégation résidentielle des ménages modestes en France. Au cours de la période 1996-2006, le Prêt à taux zéro a bénéficié à 1,4 million de ménages et constitue la principale mesure pour favoriser l’accession à la propriété. L’analyse s’appuie sur les enquêtes Logement (Insee), les registres administratifs du Prêt à taux zéro (SFGFAS) et des entretiens approfondis auprès d’accédants. Elle compare la position de différentes catégories socioprofessionnelles sur le marché du logement avant et après l’introduction du programme. Dans un contexte de hausse des prix de l’immobilier, on constate que le Prêt à taux zéro a limité l’exclusion des ménages modestes du marché du logement neuf, en particulier en dehors de la région parisienne. Pour autant, les ménages ayant bénéficié d’un Prêt à taux zéro ont eu tendance à s’installer plus souvent dans les zones périurbaines et rurales, caractérisées par une moindre proportion de cadres et de professions intellectuelles supérieures par rapport aux centres villes. De plus, les entretiens suggèrent que les ménages modestes n’avaient pas une perception claire de l’éloignement géographique généré par l’accession à la propriété, ni de ses conséquences sur leur mode de vie et l’accès à certains services publics (systèmes collectifs de garde d’enfants, transports en commun, lycées, opportunités d’emplois).
Les indicateurs de pauvreté monétaire dans les recherches féministes : bilan, état des lieux et perspectives
Irène Berthonnet
La critique féministe a désormais bien documenté que les indicateurs de pauvreté monétaire officiels que sont l’International Poverty Line (Banque Mondiale) et le taux de risque de pauvreté (Eurostat) sous-estiment la pauvreté des femmes. L’article présente deux indicateurs de pauvreté monétaire alternatifs introduits par les recherches féministes. La discussion de ces indicateurs met en évidence leur apport à la réflexion générale sur la façon de quantifier la pauvreté monétaire sans sous-estimer la pauvreté des femmes. En particulier, l’ensemble des recherches féministes sur ces indicateurs montre que pour une juste quantification d’une pauvreté – même définie en termes strictement monétaires – il est impossible de faire l’économie d’une prise en compte des rapports de force existants au sein des ménages. À partir de ce constat, deux pistes sont proposées pour avancer vers la réalisation d’un nouvel indicateur de pauvreté monétaire.
Le renoncement aux soins des chômeurs en France
Iñaki Blanco-Cazeaux, Liliana Patricia Calderón Bernal, Justine Chaput, Marika Gautron, Inès Malroux, Guerschom Mugisho, Aurélien Dasré, Julie Pannetier
En 2016, près d’un chômeur sur trois déclare avoir dû renoncer à un soin de santé pour raisons financières lors des douze derniers mois, soit près de deux fois plus qu’au sein de la population active occupée. Cet article propose d’analyser les spécificités de ce renoncement aux soins des chômeurs en se basant sur les données du Baromètre Santé 2016. La comparaison des chômeurs et des actifs occupés montre que si le moindre recours aux soins des chômeurs est en partie lié à leurs caractéristiques économiques et sociales, il existe également un effet de la situation de chômage en elle-même. Par ailleurs, les inégalités sociodémographiques de renoncement aux soins que l’on observe chez les actifs occupés sont atténuées chez les chômeurs. Enfin, le fait de disposer d’une couverture santé reste, pour les chômeurs, un critère fondamental pour éviter de renoncer aux soins.
Classer les individus selon leur participation au système productif : les « actifs » et les « inactifs » à la fin du XIXe siècle en France
Agnès Hirsch
La partition de la population entre « actifs » et « inactifs » est une construction du xixe siècle qui voit s’affronter deux conceptions de l’activité. La première, introduite au début des années 1860, vise à construire des « classes sociales » à partir de la position du chef de ménage afin de représenter la société par les liens de dépendance qui la structurent. La seconde, qui s’impose lors du recensement de 1896, renseigne l’état des forces productives sur le territoire. Cette nouvelle partition constitue à la fois le reflet des transformations du travail et leur vecteur. Le reflet, car sa genèse traduit plusieurs bouleversements dans la représentation de l’activité : le passage de l’échelle du ménage à celle de l’individu, de l’activité familiale à l’activité collective dans l’établissement, de l’atelier à l’usine. Elle en constitue un vecteur, car elle ouvre la voie à l’utilisation des statistiques de l’emploi comme outil d’action : elle répond à la volonté de connaître le travail – et plus particulièrement le travail salarié – pour le réguler, notamment par la mise en place de certaines lois d’assurance.
Les évolutions de l’activité et de l’emploi en France au fil des générations
Henri Martin
En France, la forte progression de la participation des femmes au marché du travail depuis les années 1970 est un constat déjà bien établi dans la littérature économique. En mobilisant les enquêtes Emploi de l’Insee sur une période longue de 44 ans couvrant les années 1975 à 2018, cette contribution s’intéresse aux évolutions des taux d’activité et d’emploi des femmes et des hommes. Alors que l’activité et l’emploi des femmes entre 25 et 50 ans n’avaient cessé de progresser au fil des générations depuis celle née en 1920, les données font état d’une stagnation pour les femmes nées après 1970. Concernant les hommes, activité et emploi à ces âges tendent à reculer légèrement au fil des cohortes. Les écarts de taux d’activité et de taux d’emploi entre femmes et hommes continuent de se résorber, mais à un rythme de plus en plus lent. Alors que ce processus de rattrapage était, pour les générations nées avant 1970, essentiellement la conséquence de l’augmentation de ces indicateurs chez les femmes, il est désormais intégralement dû à leur diminution chez les hommes.